Fragment #73 - Cendre #11 - Le début d'une thérapie

« Docteur, je veux retourner dans mon ancienne chambre. S’il vous plaît.
- Moi aussi Dimitri. Mais je veux d’abord que tu parles. S’il te plaît.
- C’est du chantage.
- C’est le début d’une thérapie.
- Mais je ne suis pas malade moi ! Regardez l’autre débile ! Lui il est malade !
- Julian ?
- Oui Julian... Faites un petit effort, je vous promets que c’est pas si dur de faire la différence.
- Vous êtes des cas pathologiques très différents en effet.
- Cas, pathologique ?
- Pour t’aider j’ai besoin que tu me parles. Dans cette histoire on forme une sorte d’équipe toi et moi.
- Mais j’ai pas besoin d’aide... »
Le Docteur Privat se lève, retire sa blouse et sort de son grand bureau par la petite porte du fond. Et je reste ici tout seul comme un con.

« Un café ? Ah pardon, désolé. »
J’émerge par à-coups du profond sommeil de midi.
« Un café ?..
- Euh, chocolat ?
- Ok, un chocolat. Je reviens.
- Euh non ! Un café, finalement, s’il vous plaît.
- L’hésitation, je comprends. Petit Prince se réveille... »
Petit Prince... C’est toujours mieux que ‘cas pathologique’.
« Eh, tu veux venir avec moi ? »
Pourquoi pas. Je, sors de la chaise et suis le monsieur. Nous passons par les couloirs interdits, les arrières-bureaux du bâtiment, puis arrivons dans une petite cuisine où tout le monde se salue sans trop de bruit. Le Docteur me montre le cacao et un sourire des plus détendus en attendant ma décision finale. Chocolat chaud.

« Viens, on va prendre l’air. »
En descendant les escaliers il m’explique que c’est pas très bien vu d’emmener un patient dans les salles de repos du personnel. Pas dur à deviner.
« On dit que les médecins constituent la catégorie professionnelle qui fume le plus. Enfin, cancérologues en moindre nombre au sein du groupe heureusement, le comble serait trop fort. Cigarette ?
- Euh, oui merci. »
On n’est pas à ça près. Nous sommes dans un petit jardin sauvage. Un album de fleurs fanées, échouées. Une oeuvre moderne de la nature en hommage à l’accomplissement prédominant du hasard. C’est peut-être pour ça que le hasard ne plaît pas. La nature serait presque victime de discrimination. C’est reprocher à un roi d’être roi.
« C’est l’ancien ‘coin fumeur’. On l’a officieusement gardé malgré la nouvelle loi. Mais au cas où on aurait un contrôle on préfère balancé les mégots par dessus le mur, là-bas. Imagine le bruit que ça ferait, un hôpital psychiatrique avec un coin fumeur. Mais on a eu raison. C’est joli ici. La nature reprend ses droits. Avant on entretenait quelques carrés de fleurs. Désormais elle redevient ce qu’elle est vraiment. C’est comme ça qu’elle me plaît. Parce qu’elle est elle-même, pas celle qu’on aimerait qu’elle soit. C’est ça la vie. C’est ça le respect, l’honnêteté, tout ça tout ça. Un simple jardin oublié comme celui-ci est un véritable mémorial des valeurs oubliées. Tu ne trouves pas ? »
Si. Je n’aurais pas dit mieux.
« Dis, tu préférerais m’écrire plutôt que me parler ?
- Non pas écrire !..
- Pas écrire ? Pourquoi ‘pas écrire’ ?
- C’est dangereux d’écrire. C’est vicieux, on s’imprègne d’encre et ça nous infecte, ça nous pourrit. Ca nous condamne. »
J’en ai déjà trop dit n’est-ce pas. Je vais lancer mon mégot par dessus le mur et reviens face à l’homme silencieux.
« Si je vous écris quelques chose maintenant, je peux retourner dans ma chambre avant ce soir ?
- C’est du chantage ?
- C’est le début d’une thérapie... »
Il éclate de rire.
« Ne me dis pas ce que j’aimerais trop entendre Dimitri, c’est trop flagrant... »
Il va à son tour jeter son mégot.
« Mince j’ai posé ma blouse c’est vrai. Je n’ai qu’un stylo... »
Je lui prends et saisis sa main.

‘‘les étoiles d’encre’’

« C’est sur internet.
- Ok. Tu ne m’en diras pas plus n’est-ce pas ? »
Je réponds de la tête, les yeux bas. C’est déjà trop.

Quelqu’un s’est amusé à dessiner une étoile avec un caillou blanc sur la dalle bétonnée de l’entrée.