Fragment #28 – En route pour l'aéroport

On vient frapper à la porte. C’est un sénégalais, le chauffeur d’une limousine noire, garée devant la boutique vidée de ses antiquités. Qu’est-ce que c’est que ce délire ? Il m’invite à monter à l’intérieur, se charge de ma valise. Sur la banquette, je me retrouve en compagnie de Charlie Collomb, la fille du diplomate, et de son ami. Je regarde tout autour de moi, un peu déboussolé. C’est la classe suprême, ce machin, quand même. Quand je vais raconter ça à Léonie…
« Eh beh, t’y vas pas de main morte, miss Collomb.
- C’était compris dans le prix du séjour, elle répond en haussant les épaules, avant de faire les présentations. Notre chauffeur s’appelle César, et voici mon ami, Steve. Steve, this is Mr Louis Malvo. »
Steve est un grand type, carré, vingt-cinq ans ou plus, quelque chose comme ça, brun aux yeux verts. Un beau gosse pour la petite Charlie, qui est bien mignonne aussi, dans son genre. C’est chouette, les jeunes.
Je serre la main de Steve en lui disant que je suis enchanté. Il me répond avec son accent anglais à couper au couteau :
« Hi, Mr Malvo. Je suis désolé, je ne parle pas le français. »
Je ris un peu.
« Héhé, Charlie, tu veux bien dire à ton ami que je me risquerai pas à prononcer le moindre mot dans sa langue, de peur de mourir de honte ? »
Elle se met à traduire, et Steve rit, avant de répondre :
« No worries. It took me three weeks to learn that sentence ! She’s the language expert. »
Je le regarde embrasser son amie délicatement, sur la tempe. Il faudrait que Léonie soit là, elle qui apprend justement à parler anglais.
« Il dit qu’il comprend sans problème, me traduit Charlie, ça lui a pris trois semaines pour arriver à mémoriser et prononcer cette phrase. »
Trois semaines ? Oui, presque trois semaines que je suis à Dakar, et je me barre enfin de ce continent certes très beau, mais beaucoup trop loin de mon chez moi.
« Je l’aime bien ce petit gars, je dis en désignant Steve. En fait, je vous aime bien tous les deux. Content de vous avoir rencontré les enfants. Vous êtes fiancés ? »
Charlie, peut-être pour éviter de répondre directement, commence par traduire à Steve, avant de me dire :
« Non, heum, pas encore, on n’en a pas encore vraiment parlé à vrai dire. »
Elle sourit, gênée, le rouge lui rosit les joues. Steve, à côté d’elle, est aux anges.
« Sois pas gênée, Charlie, t’as de la chance de l’avoir, ton Steve, et il a de la chance de t’avoir aussi. C’est drôlement beau, de s’aimer.
- Je sais… mais c’est tellement nouveau… »
Pauvre Charlie. J’ose pas imaginer ce par quoi tu es passée. Je sais trop bien que ta génération en bave, question sentiments. Plus encore que la nôtre, peut-être.
« Et vous, elle me demande, un amour, à part Dijon ? »
L’espace d’une seconde, je pense à Géraldine. A ses longs ongles colorés. A ses paupières lourdes et trop fardées. A sa peau sèche. A combien j’ai pu l’aimer.
Et puis Méryl, aussi. Comme c’était bien, avant le divorce, avant que ça s’éteigne. J’ai vécu de beaux moments, mine de rien, avec ces deux femmes.
« Oh que non, je réponds, j’ai passé l’âge, malheureusement. »
Et Charlie, dans toute sa fraîcheur, me répond :
« Mais il n’y a pas d’âge en amour… »
Sur cette jolie touche d’espoir, nous arrivons à l’aéroport. Je vais monter dans l’avion et quitter l’Afrique, et enfin retrouver mon pays. Je me sens aussi excité qu’un gosse à l’approche du père Noël.