Fragment #461 - Le petit théâtre de mon âme

Elle est là. Dans sa veste d'automne, mon hirondelle de feu perdue dans le froid d'octobre. Elle m'attend au café Beaubourg, comme au mois de janvier, lorsque nos vies se sont réconciliées. Je la regarde et de plein fouet me reviennent les souvenirs d'avant.
Je vais exhumer tes cendres, Julian. Et te ressusciter. Elle ne pourra rien contre cela.

« Salut Laura.
- Salut Julian. Comment tu vas ?
- Bien, et toi ?
- Très bien.
- Content de retrouver Paris.
- Contente de te retrouver aussi. »
Je m'allume une cigarette, la regarde, sourit.
« Comment c'était, ton film ?
- Les gens ont adoré.
- Et toi ?
- Oh, je ferai mieux la prochaine fois.
- Tu persévères, c'est bien. »
Je regarde le cul de la serveuse. Laura hausse les sourcils.
« Et toi, elle demande, tu écris toujours ? »
Nuage de fumée.
« Je suis pas sûre qu'on ait le droit de fumer ici, Julian. 
- Ah oui, c'est vrai. Merci Mme Bachelot. »
J'écrase le mégot sur la table.
« Tu disais ?
- Je te demandais où tu en étais, avec tes écrits. Mais si je te fais chier, je peux aussi me casser, tu vois.
- Tu t'énerves vite, Laura, toujours ce caractère piquant... Faut pas le prendre comme ça...
- A quoi tu joues, Julian ?
- Je joue pas. En fait, j'ai pas écrit depuis des mois, tu vois.
- Je vois, oui.
- C'est juste que l'inspiration vient pas. J'ai la tête à autre chose.
- Autre chose ? Comme quoi ?
- Des combats intérieurs. Le petit théâtre de mon âme.
- Rien que ça.
- Rien que ça, en effet...
- Et tu as fait quoi, à part ça, depuis la dernière fois qu'on s'est vu ?
- Je me suis barré en Espagne, j'y ai vécu deux mois, et puis je suis rentré à Dijon et on m'a enfermé dans un centre psychiatrique. »
Laura se fige. Elle détourne les yeux. C'est dur, n'est-ce pas, de regarder la vérité en face, hein Laura ? Dans le blanc des yeux. Je sens une telle colère à ton égard. La frustration de Julian, qui t'aimait, et ma jalousie à ton égard, car son amour pour toi était plus fort que pour ce qu'il ressentait pour nous, son Clan, sa deuxième famille. Tu as toujours été au coeur de son coeur.

Elle ne pourra rien contre cela.