Fragment #470 - La foudre peut tomber deux fois au même endroit

Je suis arrivé en avance au Dionysos cet après-midi. Lola et moi avons rendez-vous, et il était hors de question de la laisser m'attendre, et puis je peux parler un peu avec Louis et Lulla, que je n'avais pas vus depuis longtemps. Louis me raconte son périple à Dakar pour voir son père. Dakar, la ville où Nathan s'était exilé. Il me parle de ce mystérieux Monsieur Mancabou et de la boutique d'antiquités, et je repense à celle où travaille Maya sur l'Île Saint Louis à Paris. Est-ce qu'il y a un lien ? Est-ce que Charly Malvo, le père de Louis, est l'employeur de mon ancienne amie ? Le Secret renaît dans mon esprit, mais je décide de ne pas le laisser prendre trop d'ampleur. La dernière fois, je me suis retrouvé au milieu des flammes dans mon appartement du Kremlin-Bicêtre. Je me demande si j'aurai un jour le courage de retourner là-bas, de faire face aux petites vieilles, à Elisabeth, surtout. Il faudrait au moins que je puisse récupérer mon chat, Sa Majesté, délaissé depuis trop de mois. Je souris à Louis d'un air détaché, et lui dit que cette histoire m'intéresse, que je pourrais même en faire l'intrigue de mon premier roman. Une histoire basée non plus sur un moi fantasmé, cet Arthur qui hantait ma plume, mais sur un autre personnage, Charly, un homme capable de disparaître, de devenir invisible et de semer tous ceux qui sont à sa recherche.
Lola entre dans le bar et me tire de ma rêverie. Lola, ma brune au regard noir sauvage, pétillant d'amour. Son cou voilé de bleu : c'est l'écharpe que je lui avait offert à Noël en 2007.
« Tiens, ça me rappelle quelque chose, je lui dis, ce que tu portes autour du cou... J'ai déjà vu quelqu'un avec, mais qui ? »
Je lui fais un clin d'oeil, et elle me répond par un sourire, avant d'ajouter :
«  Le froid de l'hiver aura au moins l'avantage de me donner l'occasion de la re-porter... !
- J'aime bien ce froid moi, quand il sec et rude... Je trouve ça beau, ce ciel tout blanc, la couleur de l'air, tout ça.
- Toujours aussi poète !
- On va s'assoir ?
- J’te suis… »
Le Dionysos n'est pas encore bondé, il y a beaucoup de tables libres. J'en choisis une à l'écart, où nous seront tranquilles pour parler. Lulla s'apprête à venir prendre une commande, mais j'aperçois Louis la retenir par le bras. Il sait que nous avons besoin d'intimité, Lola et moi, après tous ces mois.
Elle brise le silence la première :
«  Ca me fait bizarre d'être là, avec toi... Un peu comme avant, mais en mieux. Je sais pas par où commencer !
- On se connait assez bien pour avoir le droit de se taire, aussi ! Ca me plaît d'être avec toi, juste avec toi, sans rien d'autre.
- J'te connais par coeur oui... Et pourtant à cet instant précis j'ai l'impression de te découvrir vraiment.
- Peut-être qu'on a toujours besoin de se redécouvrir parce qu'on change en permanence...
- Peut-être oui... Cette année m'a beaucoup changée. J'espère que tu aimeras toujours ce que tu vas découvrir...
- Je me sens fais pour toi, Lola. Alors... même si tu venais à changer... Je sais pas, j'ai pas envie de te figer dans l'image que j'ai eu de toi au début, je veux que tu puisses être toi même, et m'adapter chaque jour à ce que tu deviens. Je crois que c'est ça qui compte, aussi, à deux. »
Je souris, gêné, en baissant les yeux. Puis je continue, sans oser la regarder :
« J'avoue, je me reconnais pas non plus dans ce que dis là... Mais j'y crois, sincèrement.
- J'y crois aussi... C'est peut-être dingue, peut-être que j'ai tort et que personne nous suivra. Mais je crois en toi, je le vois dans tes yeux, je le sens... Je sais que cette fois c'est possible...J'ai eu un peu de temps pour cogiter depuis que je suis retournée chez mes parents...
- Tu es retournée chez tes parents ? Ca veut dire que Théo... ?
- J'ai préféré le quitter oui. De toutes façon ça faisait un mois que ça rimait plus à rien lui et moi... Mais j'm'en veux de lui avoir fait de la peine... »
Pauvre Théo. C'est un chouette garçon et je m'en veux qu'il souffre à cause de moi.
« Tu vois, c'est quand même un peu de ma faute, au fond.
- Pas de ta faute... Grâce à toi peut-être. Quoi qu'il en soit j'aurai aussi pu faire le choix de rester avec lui et de ne pas nous donner d'autre chance. Donc c'est aussi ma décision... Je crois qu'on l'a méritée cette chance.
- Je crois aussi... »
Un temps de silence. Je me perds dans mes pensées en regardant le visage de Lola. Lola si belle, Lola, juste là, devant moi, rêve rematérialisé.
« Alors on fait quoi Julian. J'ai besoin de savoir ce que tu as dans la tête... J'ai besoin d'y croire aussi...
- Je ne sais pas trop... Ca te dit de passer chez moi ? On sera peut-être plus à l'aise qu'ici pour discuter vraiment.
- Ouais j'crois en effet qu'on sera mieux ! »
Après tout, Florian travaille et Lilian m'a dit qu'il passait toute la journée avec Déborah. Il n'y a donc aucune raison pour que nous soyons dérangés à l'appartement. D'accord, ce n'est plus vraiment chez moi, mais c'est tout comme.
Je souris en me levant, puis lance à Louis, à la volée :
« En fait on reste pas, je repasserai te voir bientôt promis ! »
Louis me fait un clin d'oeil. Lola me suit et je voudrais prendre sa main, mais je n'ose pas.
Pas encore.