Fragment #474 - En fin de journée

« Alors, c'était comment, aujourd'hui ? »
Juliette embaume la graisse, et ses cheveux dégoulinent de vapeur huileuse. Son visage même brille comme si on l'avait beurré. Elle vient de passer dix heures à McDo et s'affale sur le canapé, exténuée.
« C'est plutôt à toi qu'il faut demander ça, je réponds en faisant la grimace.
- Ca va, ça va... Je me suis pris la tête avec Anaïs.
- Comment ça se fait ?
- Elle me saoule, c'est une vraie gamine et y a des moments où c'est pas le moment, tu vois.
- Oui, je vois...
- Et toi, alors ? Raconte !
- Rien de particulier. J'ai eu deux clients, c'est tout. La boutique ne paye pas de mine alors y a pas foule.
- Comment ça se fait que ça ferme pas alors ? Il est pas en faillite le proprio ?
- Tu verrais le prix des articles, aussi ! Y a des clients réguliers, apparemment, et du coup ça tient bon. Il paraît qu'avant il ramenait toujours des trucs de ses voyages, mais là ça fait des mois qu'il a pas remis les pieds à Paris, et Maya sait pas pourquoi.
- Et qu'est-ce qu'elle avait à faire à Toulouse, elle, tu m'as dit ?
- Justement, je t'ai dit que je savais pas.
- Ah oui c'est vrai. Et ton bouquin, ça avance comment ?
- Plutôt bien. Très bien même. C'est la première fois que je sais vraiment où je vais, au lieu de griffonner des bouts d'histoire, juste porté par l'inspiration. En fait, le truc, c'est qu'il faut pas attendre l'inspiration, faut la provoquer, la dompter.
- Ca doit pas être facile ça dis donc.
- C'est vrai mais bon. Là tu vois du coup j'ai quand même tout un univers en tête, vu que j'ai beaucoup rêvé ces dernières années, je me suis composé un petit monde et maintenant je peux faire ce que je veux dedans.
- Je pourrai le lire moi ?
- Oui, quand ça sera fini.
- Oh non, s'il te plait Ju, laisse moi lire tes brouillons quoi ! »
Je souris. Elle est cool, Juliette. Je sens bien qu'elle fait pas semblant de s'intéresser. Elle veut vraiment lire, elle est sincère. Et contrairement à beaucoup d'autres, elle ne se moquera pas.
« Salut mes chéris, lance Sergueï en rentrant, un sac de voyage sur l'épaule.
- Oulà, grimace Juliette, tu nous ramènes quoi là Sergou ?
- Ca, mes chéris, c'est ma nouvelle panoplie de Batman...
- Hein ?
- J'ai récupéré des accessoires sado-masochistes : menottes, fouets, baillons, harnais, godes, tenues en cuir... Qui veut être mon Robin ? Julian ?
- Eh heu, tu vas en faire quoi de tout ça ?...
- Ben les utiliser, à ton avis ! Je me dis que ma vie sexuelle a besoin d'un petit coup de fouet pour devenir plus intéressante, justement...
- Mais... Sergou chéri, tu n'as pas de vie sexuelle, lui fait aimablement remarquer Juliette.
- C'est faux ! Je faisais une pause là, j'ai trop baisé à Saint-Petersbourg. Je me rappelle d'une partouze dans les sous-sols d'un vieil immeuble avec des mecs qui s'étaient évadés de prison... C'était mémorable ! »
Juliette et moi échangeons un haussement de sourcil. Il n'y en a pas deux comme Sergueï, et bien qu'il soit agaçant et lourd, je commence à l'apprécier pour son humour décalé, pour le personnage bizarroïde qu'il joue à être.
Tandis que Juliette s'amuse à me menotter les chevilles, je compose un texto à l'intention de Lola.

« Je pense à toi. A chaque instant ou presque. Tu me manques terriblement. Ton Julian. »