Fragment #3 - Fin de trimestre.

Le soleil émerge à peine lorsque j'arrive place des Généraux, grande étendue d'herbe située devant le lycée. Il est huit heures cinquante cinq. Je suis en avance et en profite donc pour me griller une clope. Le lycée domine l'esplanade et attire irrésistiblement le regard. Son architecture classique à colonnades évoque l'antiquité : un escalier monumental, dominé par une imposante façade, elle-même surplombée par un clocher, accueille les élèves. On distingue, à travers le péristyle, la cour d'honneur encadrée par deux ailes centrales, reliée aux pavillons extérieurs par ce même préau antique. L'ensemble est constitué de briques rouges et de mortier blanc.
J'aurais aimé étudier dans un tel endroit. On imagine une ambiance studieuse, une sérénité digne d'un monastère et des élèves pleins de bonnes volontés.

La réalité est toute autre, les jeunes sont bruyants et centrés sur eux-même, égoïstes et arrogants, parfois méprisants, souvent méprisables.

J'écrase mon mégot prêt à affronter cette dernière journée avant les vacances.
J'apprends en arrivant à la vie scolaire, lieu central de la vie lycéenne, que nous serons l'un des rares lycées d'Amiens ouverts aujourd'hui, suite aux violences des manifestations d'hier.
La matinée se passe calmement, uniquement perturbée par les appels de parents prévenant de l'absence de leur progéniture, ainsi que celle de quelques professeurs.
L'après-midi est beaucoup plus mouvementée car nous devons envoyer plus de 600 courriers d'absence tout en continuant de gérer l'ensemble du service. Nous menons notre tâche à terme malgré la panne d'imprimante ainsi que la mise a jour du système informatique.

C'est finalement avec satisfaction que nous fermons boutique à dix-huit heures, pour nous rendre au foyer. Nous fêtons la fin du trimestre et les vacances, échangeons cadeaux et bises ainsi qu'anecdotes pour évacuer le stress accumulé durant ces trois mois:

"Je lui dit, mais pourquoi tu manifestes et lui qui me répond, bah contre le référendum !"

Peu bavard, j'observe et échange des banalités avec mes collègues, boutades et autres blagues de carabins s'enchainent. J'ai l'impression d'être au repas de Noël d'une entreprise où les individus essayent de singer la proximité et la chaleur qu'ils ont à leurs repas de famille alors qu'ils ignorent tout de la vie de leurs voisins. Atroce. Je rentre épuisé à vingt heures, heureux de ne plus avoir à jouer ce rôle d'individu sociable et positif, heureux de retourner à mes tourments et ma mélancolie.
J'aime enlever mon masque même si ce qui se cache derrière semble plus laid ; comme tout un chacun, je ne trouve le repos qu'en étant moi-même, sans pression sociale du bonheur pesant sur mes épaules, sans emprise ni maîtrise.
Voilà, quinze jours de liberté, quinze jours de solitude.

J'ai peur de ne pouvoir, une fois les vacances finies, remettre mon masque, et que transparaisse mon mépris.