Fragment #15 - Bonne année

Vingt trois heures trente, bientôt la nouvelle année. Une part de pizza traine dans la boîte posée sur la table du salon. La jeune femme à l'accueil était presque compatissante quand je lui ai demandé de me faire monter une pizza et une bière. J'attends minuit pour me coucher. Roman m'a prévenu qu'il ne serait pas là ce soir, le réveillon du nouvel an, la paye est doublée. Je n'ai pas osé lui proposer de compenser.
Mon regard se pose sur le buffet, meuble impressionnant plein de marqueteries. Je saisis la carte posée dessus : L'Enfer, inscrit en lettre d'or sur fond noir et en dessous en italique : Claire de Saint Simon.
Finalement la soirée ne se terminera peut être pas à minuit.
La douche a un effet revigorant.
Je m'habille lentement. Le choix est difficile. Je ne suis pas sorti en boite depuis quelques années et je sais que dans le milieu de la nuit la limite entre la ringardise et le too much est rapidement franchie.
Je me décide pour un jean noir assez moulant, une chemise rouge sombre cintrée largement ouverte sur une chaine dorée. Je passe ma montre à mon poignet, et ajoute à ma tenue des boutons de manchettes noirs. Je passe une veste en cuir noir et sort rejoindre le taxi appelé avant de me doucher. Lorsque je monte à bord, il est déjà une heure.
Il me dépose quelques minutes plus tard devant l'Enfer.
Les portes sont monumentales, elles semblent me dire que je ne suis qu'un misérable être humain, un moustique dans l'univers. Mes doigts son bleus à cause du froid et je me maudis de ne pas avoir pris de gants.
Je sonne. Un malabard ouvre et me demande un mot de passe. Je lui tends la carte.
- Mademoiselle Saint Simon m'attend.
Le ton est hautain, ne souffrant aucune discussion.
Il me fait entrer dans un hall immense et vide avec un immense escalier de marbre montant jusqu'à deux autres immenses portes noires. La moquette au sol est rouge sang et les tentures sont noires.
- Attendez ici s'il-vous plait.
Quelques minutes plus tard, Claire apparait. Vêtue d'une longue robe d'un vert très sombre, un sourire illumine ses traits.
- Tu m'as presque convaincue au restaurant.
Elle congédie le gorille et me prend le bras.
- Viens, je vais te montrer la boite. Nous discuterons affaires ensuite.
Nous montons les escaliers. Lorsque nous arrivons devant les portes, celles-ci s'écartent, comme au supermarché, pourtant pas un bruit ne passe.
Une vague de son semble m'engloutir, les stroboscope saturent l'air de lumière, le sol vibre sous l'effet des basses. Je suis presque étourdi.
Claire me tire vers une table noire posée sur une estrade qui domine la piste, les gens s'écartent devant elle comme la mer devant Moïse.
Nous voici assis quelques minutes plus tard, trônant au dessus des danseurs et juste en dessous du DJ. La foule ondule sur la piste au rythme de la musique, ils sont beaux et jeunes, bien habillés. Une serveuse nous apporte deux coupes et un seau contenant une bouteille de champagne.
Claire me tend une coupe, un sourire aux lèvres.
- Tu aimes ?
- Oui c'est sympa, très classe.
- Oui je sais, mais tu verras on s'y fait. Alors tu as réfléchi à ma proposition ?
- Laquelle ?
- Un nouveau contrat.
Son visage reste joyeux, comme il se doit. Cependant son regard me transperce comme deux lames acérées. Je suis légèrement mal à l'aise, après tout, elle me prend pour Thomas.
Je lui souris, prenant un air complice.
- Quels en sont les termes ?
- Bien, un jeune homme nous pose problème, il habite au 7 rue Oberkampf, bâtiment G, deuxième étage. Il s'appelle Julian Mahogagny. On te paye le tarif habituel.
Je réalise soudainement que cette magnifique jeune femme à laquelle je donnerais le bon dieu sans confession me parle de meurtre.
Je vide ma coupe lentement, réfléchissant à un moyen de me sortir de ce mauvais pas.
- Pour quand le contrat doit-il être effectué ?
- Au plus tard dimanche. Pour le moment il n'est pas chez lui mais dimanche il devrait être rentré, c'est la fin des vacances.
- Ca ne va pas être possible, le délai est trop court et j'ai déjà un engagement à respecter.
Son visage se fige en un masque indéchiffrable et seuls ses yeux plantés dans les miens semblent vivants. Je ne cède pas, regard d'étoile contre regard d'acier. Soudainement elle rit et met ainsi fin au défi.
- Tant pis, on se débrouillera sans toi. Je dois te laisser maintenant. Profite bien de ta soirée.
Elle se lève lentement, ses lèvre effleurent mes joues et bientôt la foule se referme sur elle, comme si je l'avais rêvé.