Fragment #21 - Des tribus et des clans

Accompagner Elyan toute la journée n’est ni une punition ni une corvée, c’est un calvaire. Le lycéen est taciturne et mal aimable. Je sais que ça ne doit pas être facile, pour lui, de vivre un tel ostracisme : personne ne lui parle, nul ne le remarque. Ce gamin est totalement seul. En cours, nous sommes assis au fond de la classe et personne ne le regarde, aucun élève ne lui adresse le moindre signe. Durant les récréations, il va directement attendre devant la salle suivante, m’ignorant totalement, moi et mes tentatives de conversation. Le pire moment de la journée c’est le réfectoire ; assis seul à une table, nous mangeons. Il mange lentement, les yeux fixés sur son assiette, imperméable au monde qui l’entoure. J’ai peur pour lui. Peur qu’il ne fasse une connerie.
Je me rends compte que le monde du lycée peut être impitoyable avec les éléments les plus faibles, les plus sensibles. Depuis que je le surveille, mon regard sur cet univers si spécial se modifie. Des codes commencent à émerger. Ainsi les enfants de riches ne fréquentent pas les élèves de la classe moyenne, de même un lycéen skater ne parlera pas avec un jeune rappeur. Ce n’est pas de l’animosité entre eux, juste la conscience d’une différence qui exclue toute compréhension. Certains semblent franchir ces barrières mais, en réalité, soit ils n’appartiennent à aucune communauté, soit ils sont d’un groupe mais sociabilisent avec d’autres. Au milieu de ces différents clans, errent quelques élèves, toujours seuls, peu différents des autres, sauf dans leur incapacité à communiquer.
Je regarde ma cigarette se consumer dans le cendrier. Aucune solution ne me vient à l’esprit. Je suis complètement désarmé face à ce genre de situation. Je n’ai jamais eu à gérer les états d‘âme d‘un adolescent. Tout ce que je peux faire c’est essayer de créer un lien, lui imposer ma présence et mes tentatives de dialogue.
J’écrase le mégot de ma clope et décide d’aller me coucher. Je me déshabille rapidement, éteins la lumière et me faufile sous la couette.
Quelques minutes plus tard, mon portable se met à vibrer, la lumière bleutée de l’écran envahissant la chambre.
Un nouveau message : Roman. Je souris, seul, comme un con dans la nuit.
« Désolé de te dire ça par texto mais je crois que j’ai commis une erreur, l’absence de ma copine me pesait. Oublie ce numéro. Merci. »
Mon sourire s’est effacé.