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 Fragment #156 - Mon jumeau de sang

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Altaïr

Altaïr



Fragment #156 - Mon jumeau de sang Empty
MessageSujet: Fragment #156 - Mon jumeau de sang   Fragment #156 - Mon jumeau de sang Empty10.04.08 23:29

Lundi 4 décembre 2006
à Dijon

Elle est longue, la rue Jacques Cellérier, avec les bourrasques de vent et de pluie glacée qui s’écrasent sur mon visage blême. Tourner à gauche rue Nicolas Berthot. La bâtisse se dresse face à moi. Je traverse la cour et ouvre la porte, le cœur prêt à exploser dans ma poitrine. Les marches défilent sous mes pas, les murs se succèdent. Le sang sourd jusqu’à mes oreilles. Le sang… Mon jumeau empoisonné, mon jumeau d’hémoglobine chaude qui parcourt ma chair. Il s’agite, il convulse. Il ne veut pas se révéler. Il a peur, et moi aussi.
Dépistage des maladies sexuellement transmissibles. On me glisse un questionnaire entre les mains, on m’indique une salle d’attente. Je ne réponds rien, les mots ne peuvent plus sortir de ma bouche. Dans la petite salle d’attente, il y a une vitrine pleine d’anciens outils médicaux, et sur les murs et la porte et la moindre étagère, des prospectus, des centaines de prospectus de prévention sur le sida. J’en ai la tête qui tourne, et envie de vomir. Il y a un jeune type qui se ronge les ongles jusqu’au sang, ses jambes tremblant nerveusement, une femme asiatique d’une quarantaine d’année, et une jeune fille dont le visage ne m’est pas inconnu. Un visage potelé, avec des cheveux blonds qui l’entourent comme des tentacules, et non pas retenus comme à leur habitude en deux couettes quasi sphériques à la manière de ces filles de manga, des yeux en amande qui me scrutent avec intelligence, détaillant ma figure en plissant les paupières. Elle porte une chemise blanche fripée avec une cravate, et une jupe à la japonaise bleue marine. Je ne la pensais pas férue du pays du soleil levant ; à dire vrai je ne l’imaginais pas exister en dehors de l’amphi où je la côtoie chaque jour.
La Pieuvre me regarde. Et dieu sait ce qu’elle fait de mon image, à l’intérieur de son cerveau. Cette fille vient de prépa, et je lis dans son regard une intelligence semblable à la mienne. Elle aurait plu à Maïa et Sethi. Je dois fuir les gens comme elle, mes égaux, car ils représentent un danger à mon égard. D’une signe de tête, je lui fais savoir que je l’ai bien reconnue, puis m’assieds dans un coin et ouvre le questionnaire. Oui, c’est mon premier test de dépistage. Oui, j’ai pratiqué un acte sexuel avec une personne du même sexe que moi. Combien ai-je eu de partenaires au cours des trois derniers mois ? Voyons… Nous sommes le 4 Décembre… Gautier, ça remonte au mois d’Août. Depuis le 4 Septembre il y a eu Lola… et Jonathan. Ca fait donc deux. Seulement deux ? Ta gueule, Maïa, je ne suis pas un dépravé comme toi. Vraiment ?
La ferme !
Le garçon a quitté la salle d’attente à l’appel de l’infirmière, et la femme asiatique s’est plongée dans la lecture d’un petit livret sur les MST. La Pieuvre se lève alors, pour venir s’installer à côté de moi.
« Tu t’appelles Julian, me dit-elle.
- Oui, dis-je sans trop savoir ce qu’elle me veut.
- Je m’appelle Alice. Tu viens pourquoi ?
- Pour un test. »
Quelle conne. Pour quelle autre raison pourrais-je me trouver ici ?
« Ok. Moi j’accompagne un copain. Tu veux que j’attende pour toi ? »
Pourquoi me demande-t-elle ça ? Qu’est-ce qu’elle me veut ?
« Non, ça ira, merci.
- Tant pis pour toi, me lance-t-elle en imitant ma froideur. C’est dur ici, d’attendre seul. »
Le silence nous assiège. Je me sens de plus en plus mal. Si seulement le temps pouvait s’accélérer, et cette épreuve enfin s’achever… Les secondes s’écoulent goutte à goutte. Mes jambes se mettent à trembler. Je sens mon sang qui fourmille. Ma gorge s’assèche. Dans trois jours, je ne serai peut-être plus le même homme. Ma vie sera bouleversée. Tout ça à cause d’une seule fois. Si ce n’est pas le VIH, ce peut être une hépatite, ou la syphilis… Comment avons nous pu agir si bêtement ? Oh Jonathan, comme je te hais…
L’infirmière entre dans la salle d’attente. C’est mon tour. Le sang bat dans mes oreilles, je n’entends plus rien. Je me lève, je la suis. Entre dans le bureau du médecin. L’écoute commenter mon questionnaire. Réponds à ses questions. Lui serre la main. Retourne auprès de l’infirmière. Le fauteuil m’attend. Je le rejoins et me colle dos à lui. L’élastique autour de mon bras. La voix de l’infirmière qui veut me rassurer. Le sang qui pulse dans mes veines. Mon jumeau qui se débat. L’aiguille. L’aiguille qui se plante dans ma peau, traverse ma chair et le vaisseau sanguin. Mon sang. Mon sang qui sort de moi. Mon sang qui remplit un flacon. Puis un autre. Je regarde le plafond.
Sur combien de plafonds, combien de ciels de plâtre, Nos yeux de plomb rivés décompteront les astres ?
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