Fragment #51 - Verrouille ton âme

Comme tous les jeudis, il est là. Sa présence à mes côtés m’obsède. Nous regardons un film, en silence. Pas une parole n’a été dite de la soirée, en dehors des consignes que je lui ai données : va prendre ta douche, met la table, débarrasse
La tension est palpable, l’atmosphère électrique et le voir pianoter sur son téléphone portable m’irrite au plus haut point.
Aujourd’hui pas de boxer, il s’est rhabillé après sa douche. Je le déteste, je le hais de me fasciner autant. Mais maintenant ça n’a plus vraiment d’importance. J’ai fait le premier pas, le plus difficile. Il ne me reste plus que des détails à régler, ma décision est déjà prise.
Le film se termine, aucun de nous deux ne bouge et le générique défile. J ‘éteins le téléviseur, débarrasse la table, puis je vais me brosser les dents.
Il me rejoint quelques secondes plus tard. Je termine précipitamment et sort de la salle de bain.
- Bonne nuit.
- Bonne nuit, murmure t’il avec sa brosse à dent.
Dans ma chambre, le miroir me renvoie une image peu reluisante. Le regard éteint, vide de toute vie, le teint pâle, maladif. C’est surprenant l’impact des états d’âme sur le corps.
Je bouquine un peu avant de me coucher, « les noces rebelles » de Yann Quéffelec. Un chef d’œuvre. J’éteins la lumière et, pour la première fois depuis que j’ai emménagé, je tourne le verrou, interdisant l’accès.
Plusieurs minutes plus tard, il essaye d’ouvrir la porte. Quelques secondes d’hésitations puis il toque. Le silence lui répond.
En moi, se déroule un mantra : ne pas bouger, ne rien dire, ne rien ressentir, le laisser crever.