Fragment #46 - La tête dans les nuages

Bon sang, je suis à Glasgow. C'est quand même fou, quand on a pas l'habitude de voyager. Si ça continue, je vais vraiment y prendre goût. Hier, le voyage en avion (enfin, surtout la phase décollage, puis atterrissage), ça m'a paru bien moins pire que la première fois, quand je suis parti pour l'Afrique. Et quand on est dans le ciel, au milieu des nuages, je crois que j'adore ça, je crois même que je pourrais reprendre l'avion encore et encore, comme un gamin, juste pour voir des mers de cumulus.
Je me balade dans la plus grande ville d'Ecosse, tout seul, histoire de laisser mes deux amis un peu tranquilles. C'est joli, l'Ecosse. C'est très vert. Je crois que ça me manquera quand je rentrerai en Bourgogne, où les vignes en hiver sont tristes à mourir.
Charlie et Steve sont de véritables perles. Des gens comme on en connait trop peu. L'hospitalité, c'est comme une seconde nature, chez eux, un art de vivre. Après tout, ils me connaissent pas tant que ça, ils m'ont juste rencontré rapidement à Dakar, et même si Charlie a aidé mon père a sortir de chez les flics en jouant de ses relations, et même si Steve m'a appelé quand elle a eu de graves ennuis avec ses kidnappeurs, je sais pas grand chose d'eux.
Et puis, on a pas le même âge, eux et moi. Eux, ils attendent tout de la vie, et moi, c'est un peu compliqué. Je dis que c'est un peu compliqué parce que j'attends rien de la vie, du moins je n'attendais rien jusqu'à récemment. Est-ce que je suis juste un patron de bar de province, qui gère sa petite affaire la journée et rentre chez lui ensuite pour se coucher ? Ou bien est-ce que je suis un homme qui ressent encore du désir, pour les femmes, pour ses amis, pour la découverte ? Est-ce qu'on ne peut pas continuer à vivre pleinement une fois qu'on a cinquante ans ? Ou tout du moins, commencer à vivre pleinement ? Est-ce que j'ai pas de belles années devant moi ? Tout à coup, il me prend l'envie de faire le tour du monde, de faire l'amour à Sylvie comme je le faisais avec Meryl quand nous avions vingt ans. Je veux sentir que je continue à vivre, que je suis toujours là. Un sourire m'éclaire le visage, tout d'un coup. Et je me dis que c'est une bonne chose.
Je rentre à l'appartement de Charlie et Steve. Charlie me sourit. Elle me fait penser à ma fille. Elle est peut-être la fille aimante que j'aurais aimé connaître.