Fragment #510 - Rémora

Louis est rentré de vacances ce soir, en passant par Paris. Il est allé quinze jours en Ecosse, pour se changer les idées, et il a eu envie de passer me voir à la capitale avant de retourner sur Dijon. Je l'accompagne à la gare de Lyon. Lola et Kokhavah sont restées à l'appartement.
Ca me fait du bien, de revoir Louis, comme ça. Il n'a pas changé. Il est toujours ce type plein de vie, une décharge d'amour et de simplicité. A chaque fois que je le vois, maintenant, je repense au jour où je lui ai parlé pour la première fois, il y a deux ans, et à la fois où j'ai débarqué au Dionysos, tout excité, en clamant qu'il devait absolument m'embaucher. Il me dit qu'il s'en souvient, lui aussi. Que ça l'a beaucoup marqué. Que c'est une étape importante dans sa vie, comme pour moi. Le soir-même, après m'avoir demandé de revenir pour un entretien, il avait parlé avec Michelle de cette idée. Louis me raconte ça, pour la première fois, sur la quai de la gare.
« Elle m'a demandé qui tu étais. Je t'ai décrit comme un petit con arrogant qui venait boire au comptoir à côté du vieux Jack et qui parlait à personne, en lançant des regards hautains à tire-larigot. Elle m'a demandé pourquoi j'avais dit oui et j'ai répondu que tu m'intriguais. Alors elle m'a dit « si tu le fais, n'oublie pas que tu le fais pour toi autant que pour lui ». Elle nous comparait à un requin et son petit poisson qui l'accompagne, tu sais, un rémora. Elle disait qu'elle savait pas lequel aidait le plus l'autre.
- C'est marrant, moi j'ai toujours cru que c'était toi qui m'aidait, et j'ai jamais pensé que je pouvais t'apporter quelque chose.
- Tu étais plein de folie -et je parle pas des ennuis que t'as eu ensuite avec l'hosto et tout ça hein-, plein d'imagination. C'est nourrissant, un gars comme toi.
- Mais pourquoi on n'en a jamais parlé tous les deux Louis ?
- Parce que t'es enfin adulte, Julian. Alors maintenant, on peut. »
Je souris. Louis aussi. La voix de la gare nous annonce que son train va partir. Il pose une main sur mon épaule et me dit :
« Au revoir, votre seigneurie.
- A bientôt, patron. »
Et il monte dans le train, qui le ramènera vers ma ville natale. Je rentre à l'appartement retrouver ma fiancée et ma fille. En chemin, mes multiples inquiétudes, chassées hors du temps et de l'espace par la présence de Louis, refont peu à peu surface.