Fragment #520 - Des choses qui trainent sur le bout de la langue

Dimanche 29 mars 2009
à Paris

« J'ai invité mon frère à manger avec nous ce midi. »
Lola, depuis la salle de bain, ne répond pas. J'entends le bruit de la douche s'interrompre, puis sa silhouette à demi-nue, enroulée dans une serviette blanche, apparaît dans l'encadrement de la porte. Ses cheveux, plus noirs que jamais lorsqu'ils sont mouillés, s'entortillent comme des flammes humides. Depuis son parc, Kokhavah éclate de rire en voyant sa maman arriver.
« Qu'est-ce que tu as dit ?
- Que je viens d'inviter Lilian à manger avec nous ce midi, il est sur Paris et j'aimerais bien le voir.
- D'accord.
- Ca t'embête ?
- Bien sûr que non mon chéri. A condition que tu fasses à manger ! »
Je souris. Elle a beau m'agacer, je ne peux pas ne pas l'aimer, ma jolie fiancée. Cet alliage de douceur et de beauté, cette féminité romantique et fleurie, cet alizé pénétrant qui me réchauffe le coeur et l'enduit de bonheur, je ne peux pas le détester. Et pourtant, ma Lola, si tu savais comme je rêve de te dire que j'en ai assez de te savoir ici chaque jour, à ne rien faire, si tu savais comme je regrette la femme dynamique et active que j'imaginais en toi. Est-ce que je te connaissais si mal ?
Elle retourne à la salle de bain, et je me dirige vers la cuisine pour inspecter le frigo et nos placards. Des pâtes, un peu de pesto. Voilà qui satisfera l'appétit de mon frère et le nôtre. Kokhavah se met à pleurer sans prévenir, et je cours la chercher pour lui montrer ce que je fais à manger, car j'ai bien compris qu'elle voulait regarder son papa cuisiner. Je l'assieds sur le plan de travail, à côté de moi, et ses grands yeux ronds suivent mes mains qui mettent de l'eau sur le feu, versent du sel dans la casserole, puis jettent les pâtes entre les bulles, les remuent, les retirent une fois ramollies, les égouttent, puis les mélangent à la sauce verte et parfumée.
« C'est qui le meilleur cuisinier du monde ?
- Papa !
- Et c'est qui la plus jolie petite fille du monde ?
- Papa ! »
Je souris et la prends dans mes bras.
« Mais non ma puce, c'est toi la plus jolie petite fille du monde.
- Il arrive quand ton frère ? demande Lola en revenant de la salle de bain.
- Normalement il ne devrait pas tarder.
- En espérant qu'il n'a pas zappé le changement d'heure !
- Ah oui, c'est vrai. J'ai fait des pâtes au pesto, ça te va ?
- C'est parfait, mon petit cuisto d'amour ! »
Lola commence à préparer la table. Je pose Kokhavah sur le sol pour aider ma fiancée à mettre le couvert. Est-ce le moment pour lui dire ce que je ressens ? Comment lui expliquer que je voudrais la pousser vers l'avant, l'aider à avancer, à trouver un travail ? Est-ce vraiment à moi de le faire ? Je regarde la bague qui brille à son doigt lorsqu'elle sort trois assiettes du placard, et elle semble me répondre que oui. J'ouvre la bouche, mais Lola m'interrompt avant que j'aie eu le temps de prononcer un mot.
« Julian, tu as pris rendez-vous chez ton ophtalmo ?
- Hmm, non. Je n'ai pas vraiment envie de redevenir le petit « la binocle » que j'étais il y a dix ans.
- Tu devrais, c'est important ! Et pour moi tu seras toujours le plus beau, avec ou sans lunettes. Et tu pourrais porter des lentilles aussi. Tu ne peux pas continuer à ne plus rien voir comme ça...
- Je sais, je sais, je sais. Je prendrai rendez-vous chez l'ophtalmo cette semaine.
- Demain ?
- Demain. A condition que toi, tu cherches un boulot, de ton côté.
- Parce que tu crois que je ne cherche pas ?!
- J'ai pas dit ça Lola, mais je m'inquiète, c'est tout.
- Au cas où tu ne le saurais pas, c'est la crise, Julian, et vu mon niveau d'études, y a pas grand monde qui veut de moi dans le monde du travail. »
Lola s'est muée en lionne sauvage, et sa colère vibre depuis sa crinière noire jusque dans les deux pupilles abyssales. La peau blanche de son visage s'est empourprée de fureur, et ses doigts tremblent dangereusement. Je m'approche pour la prendre dans mes bras. Désolé, mon alizé, je ne me rendais pas compte. On parle partout de cette fichue crise, et j'en oublie qu'elle a un impact réel sur les gens. Pour moi, évidemment, c'est facile de critiquer, mais je n'ai jamais eu de mal à trouver un travail, et celui qui m'occupe actuellement n'a pas dérogé à la règle. Que va-t-il se passer quand Robert sera mort ? Est-ce que j'hériterai d'une fortune colossale, nous assurant une paisible fortune et me laissant m'adonner à l'écriture autant que je le souhaite ? Ou bien devrai-je me saigner pour nous faire survivre ? Bien sûr, je comprends tout cela, mais je ne dis rien. On ne change pas si aisément, et je suis pas du genre à dire « excuse-moi ».
Lorsque Lilian sonne à la porte, il pénètre dans un temple du Bonheur défiguré par la colère et le silence.

Bah dis donc c'est pas évident, en même temps, si elle ne bosse pas elle pourrait préparer le repas je trouve, Julian est quand même bien gentil.

Tureïs a écrit:: Bah dis donc c'est pas évident, en même temps, si elle ne bosse pas elle pourrait préparer le repas je trouve, Julian est quand même bien gentil.

Tu crains ! (mais c'est vrai, les femmes aux fourneaux ! :D )

Lola la lionne sauvage...
Je propose une pétition pour le retour de Mintaka !

J'aime ce Julian, attentif, présent, aimant, qui prend en considération les autres et ce qu'ils ressentent. J'aime ce papa poule et ce compagnon hors pair. Mais de toutes façons, ce n'est jamais facile, pour personne. J'aime beaucoup ce fragment. Encore!

Citation :: Tu crains ! (mais c'est vrai, les femmes aux fourneaux ! :D )

Chez nous c'est moi qui travaille et mon chéri aux fourneaux, je trouve ça normal en fait. Moi aussi j'étais "choquée" quand elle a dit : "si c'est toi qui fais la cuisine"

Si elle fait la cuisine le reste de la semaine, il peut se bouger le dimanche midi, non ?

Non non non, c'est affalage dans le canapé :)

Vous êtes horriiiibles XD

Non mais moi je voulais pas dire les femmes au fourneau je voulais dire que c est pas cool de sa part, c'est tout. En plus elle fait un peu larve cette nana.

Là il est horrible.

Han, je prie pour que Mintaka ne vienne pas lire ça :(

Dans les fragments de Julian, c'est comme ça que je la perçoit. Après j'avoue ne l'avoir jamais lue.

Bah en même temps y'a que toi qui la décrit. Femme au foyer c'est tout un boulot, on pourrait la voir déprimer sur le fait qu'elle trouve pas de travail, tout ça. Mais que nenni alors, oui, c'est bien triste. Pauvre monde.

Ben comme dit Pro, pétitionnons pour le retour de Minti !

Ouiiiiiiiiiiiiii ! Je veux la version de Lola !

Je signe !!
N'empêche, elle a bon dos, la crise. Elle pourrait faire la plonge au black, ou un truc du genre
(et moi aussi ça m'a choquée qu'elle demande à Julian de faire la cuisine, quand même ! Mais c'est mon côté macho qui ressort )

Bételgeuse a écrit:: N'empêche, elle a bon dos, la crise.

Parfois je me demande si on vit bien dans le même univers...

Parfois, je me demande si on a vraiment le même humour.......

(oui oui c'était de l'humour, cf. la fin de la phrase, ah bah oui, parce que sortir une phrase de son contexte, forcément c'est trompeur)

Effectivement, ça ne me fait pas rire :)

Lol en fait je m'en doutais, je le savais, même, au moment de l'écrire, et puis je me suis dit "à bas la censure, même si je suis la seule que ça fait rire" (ouais en fait non, c'est pas tordant non plus )

J'irais bien dire ta blague à tous les gens que je connais qui cherchent du taf désespérément et à qui tous les employeurs répondent "c'est la crise". Juste pour tester leur humour :) Ceci dit, on est d'accord, elle a bon dos cette crise. Mais moi je parle pas des chômeurs

Je ne vais recommencer à écrire que pour vous montrer qu'on ne parle pas comme ça de Lola sans en subir les conséquences...!

:(

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