Fragment #66 - Incertitude

Maura fume à la fenêtre. Ses yeux sont fatigués, elle regarde la rue en contrebas. Je la rejoins, me colle contre son dos, l'embrasse dans le cou. J'ai tellement souhaité que ces moments se réalisent. Parfois, il me semble que tout ça, c'est irréel, une sorte de truc dans ma tête, un rêve éveillé. Maura est là, chez moi, on est seul à seul et je la regarde, si belle et si parfaite. Et elle, incapable de s'en rendre compte. Elle qui se croit terne et banale, elle qui déteste attirer l'attention et se révéler aux autres. Maura, elle est impénétrable. Je lui demande si ça va, elle me répond « ça va ». Pas un mot à propos de Théo, pas un mot à propos de moi. On a tort de croire que les filles aiment parler d'elles à tort et à travers. Il y en a qui préfèrent le silence. Qui gardent pour elles tout ce qui se passe dans leur coeur et dans leur tête. Maura fait partie de ces filles. Sensibles et fermées à la fois. Les filles qui disent « ça va » même quand y'a rien qui va. Les filles qui assurent, parce qu'elles ont pas le choix, parce qu'il faut bien avancer. Je sais pas depuis combien de temps notre petite histoire a commencé. Mais je sais que je sais rien. Sa famille, son passé, tout ça, c'est une sorte de grosse ombre à l'intérieur d'elle, et ça sortira jamais. Des fois, j'ai envie de lui demander « est-ce que tu m'aimes ? », ou au moins « est-ce que tu m'aimes plus que tu aimes Théo ? ». Mais non, rien. Je peux pas lui demander, je sais qu'elle sourirait en pinçant les lèvres, qu'elle m'embrasserait peut-être, mais qu'elle lâcherait rien. Alors on s'envoie en l'air, en secret, et elle retourne auprès de son mec. Je vais à la piscine, je fais quelques longueurs, les filles me matent et chuchotent en voyant ma cicatrice. Maura dit que ça les excite. Je m'en fous, je nage, je rentre chez moi. Le soir, je me branle en pensant à elle, dans l'appartement vide, et parfois elle me rejoint très tard, lorsque Théo est de garde. Il m'arrive d'avoir honte en pensant à cet ami que je trahis, et puis Maura m'embrasse et mon esprit s'endort, et la honte s'en va aussitôt. Comme un oiseau.
« Demain, je garde ma fille.
- De toute façon, je suis pas disponible ce weekend.
- Théo ?
- Oui.
- Est-ce que la situation va changer, un jour ? »
Elle sourit en pinçant les lèvres, m'embrasse, avale un peu de fumée. Son regard se perd dans l'horizon. Est-ce que je commence à la connaître un peu ? Ou bien est-ce qu'elle m'échappe chaque jour un peu plus ?