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 Fragment #12 - Entre le scalpel et la plume

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Altaïr

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MessageSujet: Fragment #12 - Entre le scalpel et la plume   Fragment #12 - Entre le scalpel et la plume Empty09.04.08 13:33

Dimanche 9 avril 2006
à Dijon

Il y a comme une langueur qui coule sur les rues aujourd’hui. Dijon a la crève. Depuis quelques jours, il semblerait que le balancier des saisons ne parvienne à se décider entre hiver et printemps, et l’alternance entre soleil et pluie, entre agréable et maussade, m’ennuie. Ma raison, elle aussi, est victime de ses propres oscillations. D’un côté le scalpel de sa lucidité, qui dépèce la chair du monde à la lumière crue et blafarde de sa lame stérile en quête de vérité ; de l’autre la plume, irisée, d’où s’écoulent des mondes teintés d’idéal et de rêve, mais non moins véritables, et que je superpose, selon un système complexe de calques transparents, à la réalité. Où est la vérité ? Un regard par la fenêtre éclaire ma pensée. Certes, la réalité est pluvieuse et grise, mais à travers l’étendue de la gamme de ces gris, il en est des touches que l’Artiste a rendu belles. Oui, il y a de la beauté dans le morne, des nuances jolies dans l’obscur, une teinte de lumière dans le fade. En ce cas, il faut mettre cette découverte en application sur le champ. Je m’extrais de cette pose paresseuse qui me coulait en statue sur mon lit et me précipite vers le miroir.
L’ennemi est là, face à moi. Rectangulaire, suspendu au dessus du lavabo, réfléchissant mon reflet avec la plus effroyable des exactitudes. Le miroir me regarde. Je comprends maintenant sa stratégie, ce pour quoi il m’a toujours paru si redoutable ; le miroir se sert de mes propres armes contre moi. Le scalpel de ma lucidité découpe mon visage comme on découpe les comédiens de beurre sur leurs planches. Il m’agresse, me défigure en m’exposant face à moi-même avec une impudeur presque insolente. Mais le miroir n’a qu’une arme, et la mienne peut l’anéantir d’un trait. Oui, à présent je le vois, il y a du beau dans ce visage. Le relief des lèvres, leur rouge. Lorsqu’elle sourit, ma bouche se transfigure en un délice. Je remonte le long des joues, étudie la courbe des paupières, plonge dans le noir de mes pupilles abyssales. Des mèches de cheveux sombres dégoulinent en pagaille sur le front, les tempes et la nuque. Rien n’est changé en moi, au fond je le sais bien, car le miroir est armé du scalpel, et il ne ment jamais. Mais aujourd’hui, je change. Il y a du beau dans mon visage, une indolence de statue antique, un souffle de glace mêlé à un vent de feu. A la pensée de cet auto-portrait de Narcisse, je ne peux réprimer un sourire de dédain. Mais s’adresse-t-il à moi, ou bien à tout ceux qui sont là, dehors, ceux que l’on appelle les Autres, et qui jouiront de me reprocher mon amour-propre ? Je les emmerde, tous autant qu’ils sont. Pour la première fois depuis longtemps, peut-être même est-ce la première fois depuis toujours, je parviens à me faire sourire, dans un élan de complicité avec moi-même. Mais ne suis-je pas, au fond, exactement comme eux ? Comme eux je rejetterai celui ou celle qui assumera son corps et son esprit, ceux dont l’assurance déborde au-delà des limites de leurs corps, et dont l’envergure physique en paraît plus vaste, déployée autour d’eux comme une corolle translucide.
Aujourd’hui rien n’est plus comme auparavant, car j’ai vaincu le miroir. En arpentant mon temple du sommeil, j’ai la sensation de me mouvoir dans un élément nouveau. Un geste de la tête, de la main, suis-je un acteur sous le feu des projecteurs ? J’aime cette infime contraction sur mes joues, la présence de ce sourire qui ne me lâche plus. Je voudrais le montrer, l’exposer au monde entier, que tous, dehors, me voient et contemplent ce sourire, et s’écrient dans une huée générale et admirative : « Regardez ! Il sourit ! ». Et ces folles pensées redoublent mon sourire, car je me plais à rire de moi-même, à connaître mes failles et à les trouver belles. Il faut que je sorte, comme pour confronter ma nouvelle parure mentale aux éléments extérieurs. Oh bien sûr, elle pourrait se froisser, il faudrait la conserver avec délicatesse comme une étoffe précieuse, mais non, je veux la tremper dans les eaux du réel, et la rendre plus robuste encore, inoxydable, résistante aux intempéries.
Il y a une fête ce soir. Moi qui ait vaincu le miroir, je vais m’y jeter. Un frémissement fébrile m’envahit. La parure tressaille, mais je ne lui laisse pas le temps d’être rongée par le doute. Marcher droit devant, et sourire.
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