Fragment #114 - Rencontre du troisième type

Ce matin en me réveillant, j'avais encore mal à la tête, mais j'avais envie aussi de prendre l'air. Alors j'ai pris une douche, mis un pansement sec sur mes quelques points de sutures à l'arcade, et après un thé avalé en quatrième vitesse, je suis sorti. Pas vu, pas pris.
Je m'arrête en bas de mon immeuble. Même si je suis sur une avenue encombrée par les voitures, je me régale à inspirer de l'air frais. Ma tête bourdonne encore comme pas possible, mais je crois que je suis ok pour aller faire une petite promenade matinale. J'ai pris mon second boîtier avec moi. Je le sors de sa sacoche, laissant donc pendre mon EOS 40D le long de mon bras. Je remonte l'avenue lorsque j'aperçois un jeune homme sur le trottoir d'en face, occupé à rajouter des affiches sur les quelques planches à côté du Tri-Postal. Ca fait longtemps que j'ai pas pris des gens sur le vif, en pleine activité. Je m'approche de lui par derrière. Le blanc de sa combinaison tranche avec les couleurs vives du patchwork d'affiches et la grisaille ambiante. Je déclenche une première fois. Le jeune homme se retourne.
« Tu veux que j'me pousse de ta photo ?
- Non, ça va aller. Fais comme si j'étais pas là. »
C'est la première fois que je parle avec quelqu'un que je photographie dans la rue. D'habitude, ils se taisent et finissent par me lancer un regard mauvais. Lui, ça a l'air de l'amuser. Je lui demande d'ailleurs si ça ne le dérange pas d'apparaître sur la photo. Apparemment non. Je déclenche encore plusieurs fois.
« T'es un vrai photographe ou tu fais ça pour déconner ? »
On me l'avait jamais demandé ça. Ça me fait doucement sourire.
« Je suis un vrai. Et toi, t'es vraiment colleur d'affiches ou tu fais ça pour déconner ? »
Il sourit à son tour et bombe un peu le torse.
« Je suis un vrai aussi. 
- Cool. Tu dois pouvoir te tenir au courant des concerts plus facilement que moi.
- Bah ouais. Tiens si tu sais pas quoi faire la semaine prochaine, y'a Lorie qui passe dans le coin. »
Je rigole rien qu'en m'imaginant dans un concert de cette blondasse.
« Pas tellement mon genre. Mais Merci de l'info. Je vais te laisser bosser tranquille. »
En fait, j'ai surtout envie d'aller me poser quelque part pour reprendre mes esprits. Ma tête me fait un mal de chien. Je le salue et continue mon chemin vers le centre.
« Eh, non attend ! 
- Oui ?
- Une vraie info parce que tu m'as l'air cool. This Will Destroy You. »
Je l'écoute à moitié. Putain de mal de tête.
« Tiens toi au jus, ça envoie du lourd. »
Il a l'air sympa ce gamin. A peine vingt ans, je pense. Les cheveux coupés courts sous sa casquette Vans. Des yeux d'un bleu profond. Des filles ont du s'y perdre plus d'une fois. Je sors mon carnet de ma poche, et lui demande son adresse mail afin de lui envoyer les clichés.
« Je le fais pas d'habitude, mais tu as l'air sympa.
- dimmorrison67@gmail.com. Afficheur Pro. 
- Dim Morrison ? Sympa le nom. Moi, c'est Damien.
- Non mais c'est pas un nom. Juste une adresse hein. »
Ca va, j'avais compris.
« T'es pas d'ici, je me trompe ? Je dis ça parce que t'as pas notre bel accent. »
J'espère qu'il a saisit que moi non plus, je n'avais pas le bel accent du Nord, et que c'était ironique.
« Ou parce que 67 dans l'adresse. J'arrive de Strasbourg. »
Malgré ma tête sur le point d'exploser, je continue à parler un peu avec ce gamin. Il m'explique pourquoi il est dans le Nord. Qu'il a quitté Strasbourg à cause de problèmes qu'il a eu là-bas. Il a eu besoin de bouger et je comprends. J'ai bien fuit à Paris pendant presque un an.
« Ok. On tous besoin de bouger des fois. On tourne moins en rond. En tout cas, ravi d'avoir fait ta connaissance...
- Ok, pareil, de même. Peut-être à une prochaine dans Lille.
- C'est fort possible. C'est pas si grand que ça ici. Au plaisir. »
Finalement, je repars en direction de mon appart. J'ai mal partout dans ma tête, mes yeux. Je suis pas encore remis réellement. Je m'avoue vaincu. Pour l'instant.