Fragment #345 - Eclaircir les choses

Voilà. Demain sera mon dernier jour au Dionysos. Nous en avons discuté avec Louis depuis un moment, il comprend qu'il est temps pour moi de passer à autre chose, que Dijon est devenu une cage trop petite pour un être aux ailes aussi vastes que les miennes. Je ne peux évidemment pas lui parler de Nathan, de son colis et de l'Encrier qu'il contient, accompagné d'un mot des plus étranges, mais je lui ai vaguement expliqué que Laura, une ex à moi qui fait des études de cinéma à Paris, m'a proposé de tourner dans son premier film, un petit court-métrage, et elle a pensé à moi parce que je suis serveur. Evidemment, j'ai un peu la trouille. Je n'ai pas revu Laura depuis longtemps, il y a des chances pour que je craque à nouveau et que je finisse dans son lit, et puis je ne sais pas combien de temps je pourrai squatter chez Nathan dans le Kremlin-Bicêtre, comment je vais me débrouiller pour vivre dans la capitale par mes propres moyens... Oui, je suis un bon serveur, mais je n'ai que vingt-et-un ans, à Londres c'était une fois de plus de la chance, maintenant il faudra que je fasse mes preuves et même si je suis sûr de m'en sortir, je crains le chemin qui mène à la réussite. Et puis j'essaye de ne pas trop me faire des films quant à ce court-métrage, je me rappelle trop bien la déception que j'avais ressentie après que Sylvain m'ait proposé de participer à sa pièce de théâtre, pour me reprendre aussitôt le rôle en question.
Enfin, il y a Moi. Moi, moi, et moi. Et les Autres. Tout ça. Ce mélange de voix et de murmures, de personnalités multiples, ce dédale intérieur. Je n'ai pas le courage de consulter un spécialiste, je ne veux pas finir comme ma grand-mère. Je ne veux pas que mes parents me regardent et se disent : « notre enfant est fou ». Je ne veux pas que vous me jetiez ce jugement à la figure.
Et pourtant, je suis innocent.
Lulla est à la plonge ce soir. Je rentre un peu plus tôt. A l'appartement, Sa Majesté est témoin d'une froide engueulade entre mes deux frères. Une bataille de non-dits et de vieilles rancoeurs, de colères silencieuses et d'insultes implacables. Je ne peux rien faire. Bientôt je serai parti, ils continueront leur chemin à deux, avec leur haine réciproque. Et je ne peux rien faire.
Je m'enferme dans ma chambre avec Sa Majesté, j'allume mon ordinateur et je décide d'envoyer quelques mails.

De : Julian
A : Laura Firent
Date : 2 janvier 2008 06:42
Objet : Re : Re : Cherche acteur

Salut mon hirondelle. J'ai changé d'avis. J'arrive sur Paris dimanche soir, j'ai pris mon billet un peu tard et il n'y avait pas beaucoup de choix dans les prix. Si ça te dit on peut se voir, si tu es libre. En tout cas ta proposition de tournage m'intéresse et j'aimerais bien avoir ma chance. Surtout si c'est toi la réalisatrice, imagine que tu sois connue dans vingt ans, je pourrai me vanter d'avoir joué dans ton premier court-métrage ! Et puis si ça peut te rendre service, ça sera toujours un plaisir...
Gros bisous.
Julian.

De : Julian
A : L'Efta
Date : 2 janvier 2008 06:47
Objet : Du nouveau

Salut Léopold. Désolé pour l'attente, mais j'ai été retardé, il y aurait tant de choses à te raconter. Tu connais Jed ? Nathan t'a parlé de lui ? Je suis allé chez lui à Londres et j'ai jeté la Boîte que Nathan m'avait chargé de lui remettre dans la Tamise. C'était une vieille Boîte en bois, vide, un truc symbolique tu vois. Il y a un autre garçon que je connais, Alexandre, le frère d'une ex à moi et le meilleur ami de mon frère, qui a reçu de Nathan un autre objet, un Briquet ancien. Comme ça, sans explication. Et comme je voulais en finir avec tout ça, j'ai pensé qu'il fallait les détruire. En fait je ne sais pas. Hier c'est moi qui ai reçu un colis, de Dakar (Nathan est parti là-bas, on ne sait pas pourquoi). A l'intérieur il y avait un Encrier ancien, avec une clé (de son appartement ?) à l'intérieur. Je pars pour Paris dimanche soir, j'en aurai le cœur net. Du coup j'ai décidé de me remettre à écrire. Je sais pas pourquoi je me confie à toi, mais il me semble que mes réponses précédentes n'étaient pas très sympa, alors j'essaye de me rattraper. Si de ton côté tu as une idée, si tu peux m'éclairer d'une manière ou d'une autre, si tu veux encore en discuter... Je ne dirai pas non.

De : Julian
A : Jed
Date : 2 janvier 2008 06:55
Objet : Sorry

Ce mail, j'aurais dû te l'envoyer depuis un moment. Je suis désolé. Pour toi, pour nous. Et pour la Boîte aussi. Peut-être que tu t'en fous, que tu es bien content. En tout cas sache que je pense fort à toi.
Julian.