Aldébaran
| Sujet: Fragment #62 - Les Transfigurés 15.04.08 18:45 | |
| Lundi 6 novembre 2006 à Dijon Ton souffle se calque sur le mien. Ta poitrine chaude se lève et redescend sur ma main. Je t’embrasse. « On regarde Théorème ? » Tu acquiesces. Je vais vers le lecteur de dvd, sors le disque de sa pochette. Pendant ce temps, tu joues avec la télécommande, tentant de régler l’heure. La coupure de courant de samedi a déréglé tous tes appareils. Tu as passé ta journée à tout remettre en ordre. Maintenant, nous sommes envahis par les machines. Je dépose le disque argenté sur le plateau et appuie sur le bouton close. Je retourne sous les couvertures, me serre contre toi. Mes pieds sont gelés et jouent avec les tiens. « Arrête ! Je vais prendre froid. Tu es gelé… - Réchauffe-moi s’il te plaît. » Il pose sa main sur ma cuisse, m’embrasse sur la bouche. Nos deux corps resserrés tentent de réchauffer le lit sous la couette. La couche d’air qui nous entoure, sous les draps, prend des tons plus ambrés, plus chauds. Mes pieds se serrent l’un contre l’autre. 1968. Les manifestations dans les usines italiennes. Et cet homme qui intègre cette famille bourgeoise, fascinant tous ses membres un à un. Le fils amoureux, la bonne adorante, la mère jouisseuse, la fille en attente. Ta poitrine contre mon dos. Réchauffe-moi mon amour, mon Jonathan. Comme j’aime ces instants de communion devant l’écran, devant ces films sans suspens et longs, et la beauté de l’image. La beauté de ton image, le duvet chaleureux de tes aisselles ; l’autre plus bas, plus doux. Ta main posée contre ma fesse. L’intimité de tes deux bras. Et l’homme qui part sans prévenir. La chute des personnages, lente et traumatique. La mère abandonnée et triste. La fille tétanisée par son absence, immobile et muette de ce qu’elle n’a jamais su lui dire. Crispée comme une statue de cire dans son désir. La bonne transfigurée par la rencontre, retournant dans son village, croyante et éclairée sur le Futur. Et sa mère, la vielle, qu’elle enterre vivante selon ses propres vœux. Et la dernière poignée de terre qui la couvre à tout jamais. Mon Jonathan. Je pleure un peu dans tes bras. Mais je ne suis pas triste, c’est la beauté des formes, la puissance de l’Idée qui me fait crouler sous le génie de Pasolini. Je t’aime, Jonathan. C’est cela aussi que Pasolini me révèle. Ton entrée dans ma vie, et ma transfiguration. Le pouvoir de ton Image. Je te serre dans mes bras. Plus fort encore. Le père est seul, dans un hall de gare. Soudain des sanglots s’étouffent dans sa gorge. Il se met à nu, faisant tomber ses vêtements sur le sol. Il s’en va. On le retrouve sur les pentes pleines de cendre d’un volcan. Il s’écroule plusieurs fois, nu dans la cendre, mais se relève. Et soudain tout le film se résume à ce personnage titubant face au pouvoir de ce volcan. Seul dans l’immensité. Jonathan. Je te serre contre moi. Ton dos contre mon torse, ma main dans le duvet de ton bas-ventre. Ma bouche contre ton cou. Je t’embrasse, et te glisse deux mots à l’oreille. « Je t’aime. » Puis je m’endors. | |
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