Aldébaran
| Sujet: Fragment # 80 - Suicide par procuration 16.04.08 21:38 | |
| Vendredi 15 décembre 2006 à Chenôve Je ne sais que trop ce que l’on peut faire par amour pour quelqu’un, quand tout cela nous déchire plus qu’il nous fait vivre, quand c’est trop difficile à supporter. Je me vois défenestré, mon petit corps mou comme dessiné à la craie sur le bitume, une tache de sang auréolant mon visage, ce visage que d’aucuns ont pu trouver beau ou angélique, mais que nul n’a osé approcher de trop près, de peur de s’y brûler. Mon corps désarticulé ma bouche entrouverte et son filet de sang, de tout ce qui en moi était déjà à Toi. Tout ce que je criais et que jamais tu ne voulus entendre, tout ce qui coulait, se mélangeant à mon sang le rendant toujours plus visqueux et amer, comme ce goût dans ma bouche. Je me vois dans ma baignoire remplie d’eau chaude et rouge des ouvertures sur mes poignets et mes chevilles et mon corps qui s’épanche en larmes rouges et cette eau qui se teinte et ma bouche entrouverte qui laisse un peu l’eau couler et qui entre dans mon corps et la musique douce déformée par mon corps qui plonge, par mes oreilles envahies par l’eau déformante, engloutissant le son dans un bourbier. Je me vois à genoux sur le tapis de la salle à manger, ne sachant trop que faire depuis des années, rampant un peu, et bavant. Mes mains comme étrangères à moi-même et la brillance froide du métal. Le canon qui rentre dans ma bouche, qui se fait son espace et apprend à tirer. Viser d’abord. Etre parfait pour ne pas en réchapper. La glace du métal contre mes lèvres ouvertes au maximum, ma luette tremblotante et cette envie de vomir. Je vois mon cerveau exploser en papillons gluants et rougeâtres, terrorisé par la lumière froide qui filtre des volets. Pauvres petits papillons, éphémères, qui meurent englués sur le papier peint de la maison. Je me vois accroché pendu à cette poutre que j’ai tant regardé la tête basculée vers l’arrière les yeux exorbités vers ce ciel de plâtre que me regarde lui aussi et semble se rire de moi et ma bouche entrouverte sur un fin filet de salive ma langue gonflée du sang qui me monte à la tête et la jouissance de partir vers ce ciel qui appelle, la tête dans les étoiles, des étoiles plein la tête et la raideur de mes membres flageolants et la raideur de ma queue dans mon pantalon. Je me vois, mon esprit s’envolant peu à peu. Je ne sais plus trop qui je suis. Mes yeux se ferment et ma bouche entrouverte laisse échapper un dernier gémissement. Je t’aime, Jon, ne t’éloigne pas de moi, je t’en prie. Mais c’est trop tard, tu es parti. Et je n’ai pas su te retenir. Et je n’ai même pas le courage de me suicider. | |
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