Fragment #77 – Codé

12h35. Je viens d'arriver au centre d'examen rue de l'Ingénieur Bertin. C'est qui ce type? On s'en fout je suis pas là pour un examen de culture général. Je passe mon code. Ce n'est même pas un examen de mes connaissances, mais plutôt de ma capacité à retenir de questions et réponses types. Je stresse. Le voyage en bus a été interminable. Sans nicotine. Insoutenable. Je me remplis avant de rentrer dans le hall de cette fumée néfaste. Je sais que c'est mauvais. J'avais réduit, mais ces temps -ci je suis obligé. Je rentre dans le hall. Odeur de renfermé. J'ai peur. J'ai peur parce que je me sens prêt et que je ne sais pas ce qui pourrait me faire louper ce truc; c'est rien. J'essaie de me convaincre que c'est simplissime. Ça ne me détend pas. On m'appelle. On me place. On me remet une télécommande. Et si ça ne marchait pas? Et si elle n'enregistrait pas mes réponses? Il n'y a pas un bruit. Le noir n'est pas fait complètement. Nous sommes une trentaine. Il n'y a que des chaises dans cette salle. Toutes tournées dans le même sens et toutes espacées de chaque côté d'un mètre cinquante des autres. Devant moi il y a un gars avec des cheveux longs et bouclés. Il a l'air moche. Je me concentre. Je m'en fous je suis plus grand que lui et je vois bien l'écran géant qui prend tout l'espace du mur face à nous.
Un homme en costume nous fait quelques rappels élémentaires, selon lesquels il est interdit de fumer, il est interdit de communiquer avec l'extérieur, les portables doivent être éteins, il faut répondre à toutes les questions, etc... Ça commence. Le noir est total.
Question numéro un, il fait nuit vous roulez en agglomération, vous utilisez: réponse A vos feux de routes, réponse B vos feux de croisement, réponse C vos feux de positions, réponse D vos feux de brouillard. Facile, je réponds. B bien sûr. Les questions se suivent sur le rythme lent et monocorde de la voix féminine. C'est la même que dans le métro. Non je ne dois pas me déconcentrer. Pas comme hier, où j'ai fait sept fautes parce que j'ai passé mon temps à penser à Melissa. Tout à coup la lumière revient. Je viens de répondre à quarante questions sans même m'en rendre compte. C'est passé super vite. Bien plus vite que les habituelles heures de code. On est appelé un par un pour emmener notre boîtier. Les résultats s'impriment au fur et à mesures. Les candidats récupèrent leur résultat dans le silence le plus strict. Quelle que soit l'issue. Une personne apparemment reçue franchit la porte dans un grand sourire et disparaît de mon champ de vison. Le chevelu à l'air moche a aussi l'air déçu quand il sort. Je sens la tension monter. On est plus beaucoup dans la salle. Je jette un regard aux autres qui semblent calmes pour la plupart. « Alexandre Firent ». Je me lève. Je traverse la salle jusqu'au bureau et remets mon boîtier. Le type en costume le raccorde et appuie sur une touche de son ordinateur. Un papier de la taille d'un ticket de caisse sort de la bouche de l'imprimante. Il me le tend en appelant le nom suivant. C'est tout, pas de cérémonie, rien. Interdit, je pose mes yeux sur le petit papier. Je ne sais que dire. Je suis reçu. Je sors de la salle avec le sourire du vainqueur. Dehors je veux m'allumer une clope, mais elle est là, avec son sac en bandoulière. Melissa. Elle s'approche et me regarde, ses yeux me demandent. Je lui souris et je l'embrasse. Je pensais qu'elle avait cours, voilà une autre agréable surprise. Nous repartons main dans la main. Je vais pouvoir commencer les heures de conduite.