Fragment #9 – Cédric

« Mon fils où es-tu ? Je n’arrive pas à te joindre. Cela fait dix fois que j’appelle. » J’écoute la voix inquiète de ma mère sur mon répondeur. Le matin se lève sur le paysage, dehors, tandis que je suis à moitié endormi, bercé par le vrombissement du train qui semble aller si vite. Ici et là quelques maisons dans la campagne environnante. J’essaie de m’imaginer la vie des gens qui les habitent, loin de tout. Une autre vie. Pas celle que je souhaite avoir. J’aime me réveiller avec la ville, sachant qu’un million d’autres personnes se réveillent comme moi. Un gars corpulent partage mon compartiment. Sa tête est collée contre la vitre et il a des écouteurs sur les oreilles et une musique s’en échappe ; du bruit oui. Sa bouche est grande ouverte. Je me lève doucement (même si je pense que l’autre ne peut pas m’entendre avec cette musique forte) et vais dans le couloir. L’air frais du matin d’avril s’est infiltré dans le wagon. Je colle ma tête contre la vitre glacée et ma respiration forme des ronds de buée sur le verre. Mon téléphone sonne. Il est six heures, peut-être un peu plus. Le nom de ma mère s’affiche à l’écran.
Oui ?
Bon Dieu Amaury ! Mais qu’est-ce que tu fous ? C’est quoi ce bruit ? Où es-tu ? Je n’ai pas dormi de la nuit.
Je suis dans le train.
Le train ? Mais quel train ?
Je rentre sur Paris.
Mais où étais-tu ?
A Honfleur.
Silence. Les souvenirs doivent lui revenir. Cette fois où à trois heures du matin, elle et mon père étaient venus me retrouver alors que j’étais entré dans le jardin d’un inconnu et qu’il m’avait découvert cheveux hirsutes, vestes à moitié brûlée (j’avais essayé de m’immoler, mais je n’avais pas eu le courage d’aller jusqu’au bout, les flammes sur ma veste, qui montaient presque jusqu’à mon visage, m’avaient affolé), visage détruit par la fatigue et la détresse. La Mercedes de mes parents était arrivée en même temps que la voiture des flics qui les accompagnaient. Ma mère avait le visage détruit et ses yeux étaient rouges d’avoir trop pleuré. Elle m’avait regardé, de haut en bas, m’avait touché et m’avait pris dans ses bras. « J’ai cru que je n’allais plus te revoir. »
Pourquoi es-tu retourné à Honfleur ? Je pensais que c’était terminé cela.
C’est terminé. J’avais envie de revoir Honfleur. C’est tout.
Et tu ne pouvais pas me prévenir ?
Non.
Silence.
Tu veux que je vienne ?
Non, ça ira. Je vais bien maman.
Tu es sûr ?
Oui.
Bon, tu m’appelles quand tu es rentré.
D’accord.
Arrivé Gare Saint-Lazare, les cafés ouvrent. Je m’installe à une table et commande un chocolat chaud et deux croissants. Il y a déjà un homme au comptoir, un verre de rouge à la main. J’ai envie de fumer, mais il faudra attendre que j’aie fini. Quelqu’un me tape sur l’épaule. C’est un garçon un peu plus jeune que moi. Peut-être vingt-trois ans. Il a le visage un peu marqué, mais très beau. Une beauté de caractère, pas la beauté lisse de ces mannequins qui posent pour Dolce et Gabbana. Grande taille, épaules larges, glabre, il porte une vareuse jaune et rien en dessous et un jean bleu délavé.
Tu te souviens de moi ?
Non.
Ca fait longtemps. Je ne pensais pas te revoir un jour.
Je suis parti en Floride pendant un an. Je suis revenu il y a très peu de temps.
Oui tu es très bronzé. Tu es toujours aussi beau.
Je ne me rappelle pas ce visage. Sa voix me dit quelque chose, cependant. Une voix grave, posée. Rassurante. S’il me dit que je suis beau, comme ce n’est pas ce qu’un homme dit normalement à un homme, c’est que ce garçon est homosexuel. Et peut-être que j’ai couché avec lui. Je ne me rappelle vraiment pas. Il est très beau. J’ai envie qu’il me prenne dans ses bras, j’ai envie que son corps chaud se colle contre le mien. En fait, j’ai envie qu’il me fasse l’amour.
Je m’appelle Cédric. On s’est rencontré (il baisse un peu la voix) au Queen. C’était il y a longtemps, deux ans peut-être.
Ah ? Au Queen ?
Oui.
Mon Dieu, mais pourquoi je ne m’en souviens pas ? Je suis désolé.
J’ai envie de dire : je suis désolé, tu es très beau aussi, est-ce que tu veux venir chez moi, est-ce que tu veux dormir avec moi ?
Qu’est-ce que tu fais par ici de si bon matin ?
Je reviens de Honfleur.
Ah ?
Oui.
D’accord. C’est joli Honfleur, j’y suis allé deux trois fois quand j’allais à Deauville.
Je ne sais pas, je ne connais pas bien.
Ah ?
Non.
Je finis mon chocolat chaud. Nous sortons fumer une cigarette. Il me dit qu’il est de passage sur Paris, que maintenant il habite à Toulouse et qu’il est serveur dans un bar. Il en avait marre de Paris. Il est venu voir sa mère, qui est malade, et il n’arrivait pas à dormir et comme il part en fin de journée, il a décidé de se balader un peu. Nous discutons depuis une demi-heure en marchant et je réalise brusquement que je suis arrivé chez moi. Je regarde Cédric, j’hésite, et je lui demande s’il veut monter.

D’accord.