Aldébaran
| Sujet: Fragment #112 - Rêverie 20.04.08 21:55 | |
| Samedi 5 mai 2007 à Dijon « Pshhh ! » Les portent du bus s’ouvrent. J’entre, je regarde le chauffeur, j’ajoute un « Bonjour ! » sonore. Il ne me répond pas. Ce n’est pas grave ; je souris. Rien ne pourra entamer ma bonne humeur. Je me pose contre une bande rembourrée. J’aime bien le bus, et son univers sonore. Cette violence des sons. Ce cocon vibratoire qui vous prend et vous emmène ailleurs. Ce paysage qui défile, plus ou moins vite, mais qui nous fait voir Dijon dans le flou artistique. A l’intérieur, au contraire, c’est le réalisme absolu. Le naturalisme. Je regarde cette femme stricte, brune, des lunettes à montures carrées. Des cheveux bien droits et coiffés. Ce pli au coin de sa bouche. Elle a l’air de penser, peut-être à demain, à ce qu’elle va faire, comment organiser sa journée. A sa gauche, petite fille bien mise, catholique dans sa manière d’être. Sa petite jupe à motifs parfaitement repassée, son petit chemisier blanc. Sa maman lui tient la main. Elle pense toujours, son petit rictus au coin des lèvres. Elle vote pour lui, sans aucun doute. Je regarde cette femme, un peu petite et souriante, l’air ailleurs. Ses cheveux noirs tressés en une natte qui lui tombe sur les épaules. Rayonnante comme un cœur. Elle respire l’enthousiasme et la joie de vivre. Elle y croit encore, je le sens. Elle sent que le bon côté peut encore gagner, que tout n’est pas perdu. Même si en dedans elle est triste un peu, même si en dedans elle a peut-être déjà arrêté d’espérer. Elle veut par tous ses pores respirer l’espérance des valeurs. Elle veut que l’humain gagne. Elle vote pour elle, j’en suis sûr. Je regarde cet homme, complet gris. Cravate bien ajustée, le teint un tout petit peu rougeaud avec la chaleur due au rapprochement des gens. Et sa petite mallette qui l’accompagne. Dans l’univers de la banque. Mieux, cet homme travaille à la bourse, il se rend à la gare suite à la panne de son véhicule. Il remonte à Paris, jouer avec les cours. Il croit à la dictature de l’argent. Il ne croit qu’à une chose que lui ont inculquée ses parents : « l’argent fait le bonheur ». L’argent a toujours fait le bonheur. Et il a travaillé dur pour en arriver là, ce n’est pas pour se faire arracher la moitié de son capital. Il votera pour lui. Je regarde cet étudiant qui parle en rigolant avec une amie. Il a une profession de foi de campagne à la main. Il discute politique de vive voix. Des gens se retournent sur ce qu’il dit, sur ses idées faciles à la mai 68. Un petit communisme primaire, de ce qui fascine les jeunes qui n’y comprennent rien, de ce qui permet d’espérer en un monde meilleur. Qu’ils sont mignons à cet âge, capables de croire à tout, même à la bonté de l’humanité, au bon sauvage. L’homme est bon, c’est le progrès qui l’a corrompu. Le pauvre, il n’a pas encore compris que l’homme avait déjà fait la Chute. Il n’a pas compris que l’homme était déjà perdu. Il n’a pas compris que l’homme déchirera son prochain tant qu’il le pourra. Premier pas : travailler plus pour gagner plus. Il votera pour elle. « Pshhh ! » Les portes s’ouvrent. Je regarde dehors. Mon arrêt ! Une seconde de plus, et je manquais mon arrêt. Je descends en trombe, sonne, et monte les escaliers quatre à quatre. En haut, Ariane m’attend. Dans son cou s’étend Martin, comme à son habitude. Dans la main d’Ariane, un petit papier aux reflets verts. Ma carte d’électeur ! « Si tu savais par quoi j’ai dû passer pour avoir accès à ça ! Maman aimerait bien savoir où tu es passé, Jed. Passe-lui un coup de fil. » | |
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