Je regarde ses cheveux qui tombent sur ses yeux, leur volume sur ses épaules. Son air un peu ailleurs. Et ses yeux. Dans lesquels j’aime tant plonger. Je discute avec lui depuis une demi-heure et déjà je suis fasciné. Qu’ont-ils tous dans cette famille ? À peine ses lèvres se sont-elles entrouvertes, la commissure laissant entrevoir sa langue qui danse, le baiser caché au coin, que je suis passé en mode silencieux. Je le regarde. Je hoche la tête. Je le regarde. Je réponds oui, c’est sûr. Je le regarde. Et c’est Julian que je vois. Ses yeux accrochés au miens. Ses iris chevillés dans mon cœur.
Mais je n’arrive pas à m’en sortir, à discerner le fond de ses pupilles, à entrevoir le désir. J’aimerais plonger, trouver l’objet au fond de lui, comprendre. J’aimerais savoir ce qu’il cache, ce qu’il pense de moi à cet instant précis. Trouver le miroir au fond de ses pupilles.
Mais il ne me parle que de maths. De ses difficultés pour le bac. Je lui ai dit que je ne pourrais sûrement pas l’aider, que j’avais complètement laissé tomber la fac depuis quelques temps, que je n’irai sûrement pas à mes partiels qui d’ailleurs avaient déjà commencé. Que j’étais perdu, à la dérive. Ses yeux se sont allumés. Un temps.
Je pose ma main sur son bras, Julian est plus loin dans la salle, installé à son ordinateur. Je lui explique que je suis en flottement, plus de mec, en vadrouille chez ma sœur. Je ne parle pas de tout quand même. Un coup de teepex sur mes incartades des derniers jours. Ma main descend le long de son bras.
« Bon je vais y aller. A bientôt alors.
- Attend. Je te laisse mon numéro ? »
Je suis surpris par l’avancement rapide des choses. Mais une telle proposition ne se refuse pas.
« Eh bien oui, si tu veux. »
Nous échangeons nos numéros. Je me lève. Fais la bise à Lilian, un signe de la main à Julian, et sors du bar.J’ai mon téléphone entre les mains. Je n’ose pas appeler. Je ne sais pas. Il m’a l’air si petit, si fragile. J’aurais peur de le briser. Que veux-je faire avec lui d’ailleurs ? L’heure est-elle à construire ? Ou plutôt à détruire ? À me détruire ? À tout détruire autour de moi ? Je veux pourtant te revoir, Lilian. Je m’apprête à t’appeler.
Le téléphone vibre entre mes mains. Jonathan, encore. Je ne réponds pas. Surtout maintenant. Je pense à quelqu’un d’autre.
« Allo, Jed ? Ecoute, j’ai entre mes mains deux tickets. Pour Londres, je sais pas si tu te rappelles. Je ne sais pas trop quoi en faire. C’était l’époque où tu m’aimais je crois.
Je t’aime toujours.
Tu pourrais me rappeler pour me dire ce que j’en fais ? »
Jeeze. Fuck you. I don’t care. Do whatever you wanna do. I do not care about you anymore.
But you love him.
No I do not, shuddup.
Oui, tiens, l’Angleterre. Patrie de mes ancêtres. What are you waiting? Pourquoi revient-elle à la charge encore et toujours? Are you waiting for…
me ? Et Alex là-bas. Je n’ai toujours pas de nouvelles. M’attend-il, lui ? Je repense au mot toujours cacheté que j’ai gardé, au fond de la boîte.
Il est temps. Tout recommencer peut-être. Mais en tout cas avancer.
Planning :
- Appeler Lilian, lui donner rendez-vous.
- Aller chercher la boîte.
- Lire enfin le mot d’Alex, puis l’appeler s’il le faut.
- Ne plus jamais entendre parler de fac de Psycho.
- Enfin, et surtout : appeler papi et mamie, voir si je peux passer un petit peu de temps à Londres.
Oui, c’est ça. Tout recommencer. Rapidement. Je me donne deux semaines.
Je compose un numéro. Cliquetis des touches plastifiées. Bip caractéristique de la tonalité. Une voix endormie répond en chuchotant. Merde, il est déjà 23h30.
« Allo.
- Allo Lilian ? C’est Jed. Désolé j’avais pas vu qu’il était si tard.
- Julian dort à côté. Qu’est-ce qu’il y a ?
- J’aimerais te revoir. »