Fragment #80 – Journée C3/A2

9h57. Je pousse la porte de l'auto école et m'assieds sur l'un des six fauteuils qui font face au bureau-comptoir. Joël, le frère de Gérald -Gégé pour les intimes de la caserne-, me tend une clé et me dit d'aller m'installer, en m'indiquant la C3 bleue devant l'auto-école. Je le connais parce que tout le monde se connaît dans les villages. Pas personnellement, mais suffisamment pour ce que j'en ai à faire. Je presse le bouton de la clé et les verrous se débloquent automatiquement. Je dépose mon manteau à l'arrière, je serai plus à l'aise. Puis me dépose sur le siège avant gauche. Place conducteur. Les genoux sous le volant je règle le siège pour ne plus être gêné, je m'attache et règle tour à tour les trois rétroviseurs du véhicule. A peine ces réglages méticuleux et rapides effectués Joël s'installe-t-il à côté de moi. Après quelques formalités obligatoires, questions superflues, et renseignements personnels annotés sur sa fiche nous démarrons enfin. Pour commencer c'est lui qui s’occupe des pédales et du levier de vitesse, je n'ai qu'à me concentrer sur le volant et les rétroviseurs. Comme ça se passe bien, au bout d'un quart d'heure on s'arrête sur un des parkings du lac Kir. Là il me dit que nous allons apprendre à démarrer et s'arrêter. Il m'explique, mais je le préviens que je sais déjà faire. Je sens alors les chevaux de la voiture hennir sous mon pied droit, je dose petit à petit mon embrayage, relevant peu à peu mon pied gauche : la voiture se met lentement en mouvement. Je souris. « Ok, on s'arrête et tu recommences » me dit-il. La voiture s'immobilise, je me concentre à nouveau fier de ma première prestation, j'appuie à droite, je relève à gauche, et je cale. « Tu as été trop vite. Remets le contact et recommence. ». Je me concentre davantage, et ne failli pas une deuxième fois. Je réussis les exercices suivants correctement ; convenablement plutôt. Il est l'heure de repartir, il me dit que je ramène tout seul la voiture, qu'il ne touche pas aux pédales. Je suis fier, et je fais tout pour être à la hauteur. Je sens cet amas de ferraille et de plastique en mouvement par la simple pression de mes pieds. Je trouve ça extraordinaire. Sentir n'est pas tout, il faut aussi apprendre à écouter le moteur, son vrombissement évolutif ; parce que ne saisissant pas encore les nuances que la machinerie émet, je me repose pour le moment sur les indications du moniteur pour changer les vitesses. Arrivés entiers à bon port, il me dit que je me débrouille pas trop mal, et qu'on ne devrait pas dépasser de beaucoup les 20 heures de conduites. Je suis content. Mon porte feuille va sûrement l'être encore plus que moi. Je me dépêche de rentrer Melissa doit arriver à midi. Je l'ai invitée à manger. Je n'ai plus qu'une heure pour me mettre devant les fourneaux et lui préparer un petit plat dont elle se souviendra. J'aurais bien fait des pâtes, mais je ne voulais pas offenser ses racines italiennes. Alors j'ai opté pour un poulet Gaston Gérard bien de chez nous. J'espère qu'elle aime les sauces à la crème. Avec du riz. Pas trop cuit. Elle n'avait cours que jusqu'à 11h00 et arrive un peu en avance. On a tout l'après-midi pour nous, mes parents ne rentrent qu'à 17h. Elle sonne à la porte, je lui ouvre et nous nous embrassons sur-le-champ. Autant dire sur le pas de la porte, ça me gêne un peu. J'aime sentir ses bras venir se nouer autour de mon cou tandis que nos langues entrent en contact. Je la prends plus près encore, la fais tourner, et ferme la porte d'un coup de pied. Je nous couche sur le canapé, l'un sur l'autre. Ses mains commencent à chercher mon corps. Je ne veux pas chercher le sien, je ne veux pas voir la porte se fermer à l'instant ou je la découvrirai. Je me relève, et lui demande si elle a faim. Elle me dit que oui, m'aide à mettre le couvert, et nous nous asseyons. Les yeux dans les yeux en attendant que le four sonne. Ici le temps s'arrête sur tout ce que ses yeux regardent. Ici ou ailleurs, mais ici particulièrement. Surtout quand nous sommes seuls. Je l'aime. Je crois. Mais je ne veux pas lui dire. Je ne veux pas qu'elle me prenne pour un de ces Don Juan à la gomme qui sont amoureux d'une personne différente chaque semaine. Soit soixante-huit fois par an si vous leur demandez. Alors je la regarde me parler. Je la touche pour l'entendre, et respire son aura. Qu'elle est belle avec ses cheveux détachés. Elle a encore fait en sorte que je vois ses épaules fines et musclées à la fois. Je mange sans voir ce que ma fourchette me fait ingurgiter. Après manger je propose une balade dans Plombières pour nous dégourdir les jambes et profiter du peu de soleil que l'on a ces temps-ci. Même les éléments se sont mis d'accord pour nous rendre la vie agréable. Tout va bien. Main dans la main. Nous avançons.