Déneb
| Sujet: Fragment #5 - Qui est le plus fragile ? 01.05.08 3:37 | |
| Dimanche 3 décembre 2006 à Lille La lumière grise et éblouissante du Nord qui inonde ma chambre sans rideaux me tire d’un sommeil que j’aurais voulu plus long. Dimanche. 08h35. Il est tôt, mais je sais qu’il me sera impossible de me rendormir. Tournant mon visage vers la fenêtre, je regarde les arbres décharnés et entend le vent siffler sous le toit. Je peux sentir le froid qui sévit dehors ; la pluie fine qui s’emballe soudainement et devient déluge, le vent tourbillonnant qui glace les os et fait courber l’échine, et le soleil, complètement absent, caché derrière des nuages immaculés. C’est le ciel du Nord, celui qui se noircit à l’approche des terrils et qui effraie les étrangers. Un ciel austère et clair, distant et mystérieux, qui ne se laisse que difficilement approcher et aimer. Que l’on déteste et qui pourtant nous manque dès lors que l’on en rejoint un autre. Dans la salle de bain, l’eau glaciale sur ma figure achève de me réveiller. Je tends la main machinalement vers ma serviette, sur la gauche, pour m’essuyer. Remontant lentement la tête, mon regard rencontre son reflet dans le miroir. Il paraît presque surpris, ce double, de se voir ainsi. D’un bleu sombre et intense, qui aurait pu être froid sans ces filaments dorés tout au fond de l’iris. Mes yeux amande se détachent de leur écho pour saisir l’ensemble de mon visage. La bouche fraîche et rose, telle une jouvencelle sortant de son couvent et s’éveillant à la vie aux côtés de preux chevaliers ; la courbe harmonieuse du nez ; les cheveux blonds dansant en ronde autour de ce visage ovale à la peau pâle, plus lisse que l’albâtre des tombeaux, toujours pareillement pure et diaphane. Je ne suis pas d’ici. Je suis Zéphora la pieuse, fille de Jéthro et épouse de Moïse. Je suis Vénus naissant des eaux. Je suis Vénus adultérine s’abandonnant dans le lit de Mars. Je suis la Primavera féconde délivrant l’abondance sur Terre. Je suis la Beauté peinte par Botticelli. Non, je suis LA Beauté. Je ne suis pas d’ici, je n’appartiens pas à votre monde, je le transcende par ma beauté immanente. Laissez moi. Je ne suis pas d’ici, je ne suis pas basse et misérable comme vous, je suis l’Eternelle, je suis l’incarnation suprême de ce que vous n’êtes pas et ne serez jamais, l’Idéal. Je détourne les yeux, les pose sur l’émail immaculé du lavabo. Juste un péché d’idolâtrie matinal. Ma peau est plus pâle que des corps sépulcraux. La lividité me guette derrière l’éclat et le dédain que j’affectionne. Et j’aimerais parfois qu’un ver traverse ma joue pour vous montrer enfin ma laideur. Pour vous montrer cette pureté et cette innocence feinte. | |
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