Nunki
| Sujet: Fragment #10 - Limites et discontinuités 01.05.08 4:06 | |
| Mardi 9 janvier 2007 à Dijon Retour à la routine. La radio m’extirpe de force du sommeil, avec beaucoup d’impolitesse, et semble continuer son discours incessant sans se soucier de ce qu’elle vient de faire. Je tombe littéralement du lit, en roulant sur le côté, emmitouflé dans ma couette qui amortit le choc. Allez savoir pourquoi, j’aime me réveiller comme ça. Aujourd’hui, je n’ai pas cours de la matinée, seulement l’après-midi. Je préfère quand même reprendre des bonnes habitudes. Je prends le temps de déjeuner, seul, dans la cuisine dont le jaune poussin des murs semble plutôt gris clair. Puis je m’habille et sors pour aller chercher le bouquin de chimie qu’il me faut pour mes révisions, à la librairie. Tout autour, l’activité semble avoir repris, la circulation tonitruante me harcèle les tympans, les gens me bousculent. Je suis pourtant d’excellente humeur ce matin. Le gris qui m’entoure ne suffit pas, je ne suis pas contaminé par la tornade anthracite du monde. Je me sens vivant, c’est le mot. Je vis, je ne suis plus dans l’amorphie de fin d’année. Mon sommeil est moins important ces derniers temps, d’ailleurs. Je sens la tonicité de mes muscles prendre le dessus sur l’effet guimauve. Mon sang dévale les pentes de mes vaisseaux, puis remonte, s’encrasse, se ressource dans mes poumons, dans mes entrailles, pour retomber à nouveau dans la spirale de mon corps. Je sens chaque alvéole pulmonaire se gonfler d’un oxygène bienfaisant, quoique pollué. J’arrive à présent dans le centre Dauphine. Ça tombe bien, il commençait à pleuvoir, et j’ai pas de parapluie. J’avance tranquillement sur les dalles glissantes, mais je m’arrête aussitôt. Sarah vient de sortir du magasin de chaussures. Et merde, elle m’a vu. Il fallait que ça arrive aujourd’hui, évidemment. Tout était bien jusque là. Ma journée est déjà foutue, je le sens. Elle m’interpelle, cette idiote. Elle a bien vu que je l’avais vue, non ? Souriante avec ça, rien de pire. Depuis que nous avons mis certaines choses « au clair », elle essaye de communiquer avec moi. Déjà l’autre jour, j’ai reçu un texto stupide me disant qu’il y avait une soirée à un jour x, en un lieu y, je lui ai répondu que l’équation linéaire était insoluble pour moi. Tu crois pouvoir communiquer avec celui qui t’embarque dans un tissu de mensonge ? A moins que tu aimes les illusions. Allez, rien que pour toi, un nouveau tour de passe-passe ! Je souris, l’embrasse, et sens l’horrible eau de toilette, qui pour moi sent les chiottes depuis notre rupture. Toujours ces boucles blondes qui lui donne une allure de caniche infect et snob. Les insultes fusent dans ma tête, et me font sourire alors qu’elle m’évoque ses études difficiles en hypokhâgne. « Et tu fais les magasins, avec tout le boulot que tu as ? ». Celle-là m’a échappée. J’en suis plié de rire dans mon propre crâne. « Je me suis permise de faire une pause, et puis j’avais plus de.. » Je me fous royalement de ce qu’elle répond. Je vais continuer de casser, je vais la pousser à bout, tester ses limites. Elle va perdre le contrôle de ses mots, et moi, je verrai mes propres limites de sado-masochisme moral. « C’est les soldes demain, tu ne pouvais pas attendre ? » Celle-là est pas mal non plus. Elle avoue ne pas avoir connaissance de la date des soldes, et se trouve « idiote ». C’est le moins qu’on puisse dire. La conversation s’achève. Je prétexte avoir un rendez-vous important chez la dermato. On se salue en s’éloignant progressivement l’un de l’autre, parce qu’elle avait pas fini sa phrase. Cette cruche doit bien sortir un demi-million de mots en une demi-journée. Je lui fais un clin d’œil hypocrite, avec le seul œil qu’elle peut voir, l’autre étant caché derrière un enchevêtrement de cheveux noirs et raides. Deux faces : une visible, l’autre non. Une vraie, l’autre fausse. Je reprend mon chemin. Mes pensées se bousculent. Une nouvelle brèche fend mon cerveau, suite à cet imprévu. Je me goure de direction, là. La librairie est à l’opposé… | |
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