Fragment #86 – Et mon vélo alors ?

13h31. Pouls : 98 bien frappés, tension : 18/12, 97 de sat’ et 22 mouvements respiratoires.
Monsieur écoutez-moi, vous avez fait un malaise. Forçant de plus en plus sur ma voix pour être sûr d'être entendu du retraité. On va devoir vous emmener à l'hôpital. Oui en ambulance. Non votre vélo on ne peut pas l'emmener. On le laisse ici ; à l'intérieur de la maison de l'éclusier. Vous viendrez le récupérer lorsque ça ira mieux.
On sort le sexagénaire sur la chaise d'évacuation. Pas besoin de sortir le brancard puisqu'il peut se tenir assis. On le transporte tout de même à l'hôpital, car un malaise n'est jamais bénin, surtout à cet âge. Quittant la fraîcheur de la petite maison au bord du canal, nous nous découvrons aux rayons acerbes de ce soleil piquant. Un court instant seulement, juste le temps de le monter dans l'ambulance climatisée. Il fait chaud dehors. J'ai assez chaud comme ça en polo, alors pas étonnant qu'il se soit senti mal. Deux pulls, c'est sûr il n'allait pas avoir froid. Le corps doit évacuer les calories brûlées lors de l'effort physique. En plus de ça s'ajoute la transpiration due à la température extérieure. Lui, il a fermé toutes les fenêtres de son corps, comment aérer ? Le corps a tiré la sonnette d'alarme avant une surchauffe totale du matériel interne. Parfois on se demande si les gens réfléchissent quand ils font quoi que ce soit.
Non votre vélo on ne l'emmène pas. Je vous ai dit qu'on le laisse ici. L'éclusier est d'accord, ne vous faîtes pas de soucis.
Subtil dosage entre réconfort et fermeté. Surdité, Alzheimer, ou obnubilation ? Il ne nous aide pas en tout cas.
Nous reprenons la piste cyclable en sens inverse, direction Dijon et l'hôpital. Je ne sais pas combien de fois nous reviendrons, ''deux tons'' actionné, d'ici début octobre. Il faudra gérer maintes autres interventions de ce genre. La piste cyclable recèle de danger : piqûres d'hyménoptères, chutes dans le canal, morsure de serpent, collision entre cyclistes, chutes de rollers,... Et à chaque fois les traumatismes multiples qui en découlent ; de l'insolation, à la fracture en passant par quelques gonflements. Le plus souvent c'est de la bobologie, mais il y a de quoi s'occuper.
Oui il est chez l'éclusier votre vélo. Ne vous en inquiétez pas.
Il commence à me gonfler sérieusement avec son vélo. Heureusement que le trajet jusqu'à Dijon n'est pas long. Toujours sourire, et ne pas s’énerver.
Et mon vélo?
Je vais vous demander de vous taire s'il vous plait, le temps que je reprenne votre tension.
La surveillance à bon dos. Mais je trouve ça malin de ma part, voilà un moyen correct et efficace pour qu'il me foute la paix. Evidemment je passe du temps à reprendre la tension. Puis je reprends les autres constantes – qui ne le sont pas puisqu'elles varient- prenant soin d'y mettre le temps.
De retour à la caserne, débarrassé de l'olibrius, je me change puis monte en salle radio. Gérald remplit consciencieusement le rapport d'intervention. Deux minutes s'écoulent en silence avant que:
« Dis Gégé, tu sais ce qui est advenu de Cédric Lenord?
- Qui ?
- L'ado de lundi dernier.
- Ah oui. Non, aucune idée. » Il se lève, range le rapport et continue: « Mais tu peux te renseigner auprès du CODIS. Eux ils ont trace de l'intervention dans sa totalité, ils sauront te renseigner.
- Ok, merci. » Dis-je en tournant les talons.
Il m'attrape le poignet.
« Pourquoi tu veux savoir où il a été emmené ?
- Pour rien. A bientôt » Lance-je en quittant le bureau.