Fragment #90 – Repas de famille, ou presque

14h27. Ils sont arrivés par le même bus apparemment. Melissa et Lilian. Elle et son pas rapide ont une cinquantaine de mètres d'avance sur lui et sa nonchalance. Je les regarde arriver depuis la cour. Lunettes de soleil sur le pif je me la joue superstar. C'est un peu mon heure de gloire. Je vais enfin pouvoir les présenter. Ils se connaissent déjà sans s'être jamais vus. Ils se connaissent déjà car j'ai la langue bien pendue à leur sujet respectif.
Melissa - Lilian, Lilian – Melissa.
J'ouvre la porte du garage et sors les vélos de Thomas, et Laura, puis le mien. Je crie du bas des escaliers tout droit vers les oreilles de Pierre. Il me répond que non, il n'a pas spécialement envie de venir avec nous.
Comme c'était prévu nous partons nous promener sur la piste cyclable. Ça nous fait du bien. Melissa se détend avant ses partiels, Lilian relâche la pression après une année difficile, et moi je profite du soleil et de ces personnes qui me sont très chères.
Ils discutent Fac, RU, Bus, etc... Entre eux, je me sens à l'écart. C'est bête je sais, mais j'ai envie d'être le centre de tout. Alors je leur raconte Cédric. L'épisode Cédric. Lilian, s'offusque d'abord que je ne lui en ai pas parlé plus tôt. Ça me fait plaisir. Puis je sens qu'ils ont compris ce que je ressens. Qu'ils savent comme je sais, que ce gamin je m'y suis attaché. Attaché parce que je le vois régulièrement en rêve -cauchemar-, attaché parce que je pense à lui, attaché parce c'est sûrement grâce à moi qu'il vit encore. Nous sommes liés, je ne le connais pas, il ne sait pas que j'existe. Mais nous sommes liés. Mon frère de cœur et mon petit cœur, unanimement me conseillent d'aller le voir, de lui dire que j'ai envie de le connaître. Je dois lui expliquer qui je suis, je dois me rendre compte qu'il va bien, et à ce moment là, je serai libéré de ces visions macabres. Je suis content qu'ils s'intéressent à cette histoire ; content aussi d'être plus que le lien qui les unis, ou le cycliste au milieu d'eux. Arrivés à Fleurey, ma dulcinée demande si on peut faire demi-tour. Je m'inquiète, « T'es fatiguée ma chérie ? » Non, mais elle ne veut pas que ses muscles prennent du volume, de grosses cuisses seraient disgracieuses dans ses collants de danse. Nous rebroussons chemin, pour lui faire plaisir, car Lilian et moi avions bien envie d'aller plus loin. Et surtout nous ne comprenons pas trop cette attitude féminine. Je passe un bon après-midi à pédaler au soleil avec eux.
Nous rangeons les vélos dans le garage après une bonne vingtaine de kilomètres. Au même moment la voiture de ma mère s'arrête devant la maison.
« Les enfants, vous pouvez m'aider à ranger les courses s'il vous plait, vous serez gentils. » Ce n'était pas une question, et nous nous exécutons. Mon père est sur le canapé, devant la télévision.
« Madame vous les mettez où les ravioli ?
- On s'est déjà vu Damien, mets les là, tu peux m'appeler Sylvie ce sera plus sympa.
- Lilian
- Quoi ?
- Je m'appelle Lilian.
- Ah ! Oui, pardon. Et toi.
- Melissa, c'est ma petite amie. » J'ai répondu à sa place, comme dans un vieux couple.
« Vous allez rester manger avec nous, les jeunes. »
C'était oui d'office de toute façon. Et ça m'évite de demander s'ils peuvent rester.
Nous sommes tous là sur la grande table rectangulaire de la salle à manger ; comme au bon vieux temps. Papa et maman en bout de table, puis Lilian face à Pierre, et Melissa en face de moi. Je suis juste gêné par les regards meurtriers que mon père lance à ma belle. Aurait-il vu la bête assise à la place de sa Laura chérie ?