Fragment #62 - Première Leçon

Je ne sais pas ce qui m'arrive. Je ne sais plus quoi faire. Je suis perdu entre Jérôme, Paris, et mon envie irrépressible de retrouver Sofia. Sofia. Les pages du carnet sont imprimées dans mon esprit. Le premier indice m'a amené en partie ici, dans cette ville où j'ai rejoins mon vieil ami. Un vieil ami qui a bien changé... Merde! Je tourne en rond. Les journées défilent sans même que je ne les vois passer. Jours et nuits à réfléchir, à rester planquer ici, dans l'appartement d'une morte. J'ai moi-même l'impression d'être mort. L'impression d'être invisible aux yeux du monde, de vivre dans un univers parallèle.
Un bruit dans la cage d'escaliers. Je tends l'oreille un instant, guettant le son des clés dans la serrure, indiquant le retour de Jé. Rien. Certainement les voisins de palier. Je me rallonge dans le canapé et reprends ma contemplation du plafond. Je suis fatigué. Trop. Beaucoup trop. Mais je ne ferme pas les yeux. Dans mon sang, l'acide s'est à nouveau installé. Il a transformé ma tête en usine à cauchemars. Toujours ces images de l'Enfer. Je savais l'espèce humaine déviante, étant moi-même un « digne » représentant d'une catégorie d'allumés. Jé m'avait prévenu, même s'il n'a pas été très honnête dés le début, que je n'allais pas sortir de cet endroit indemne. Mais lui faisant confiance, et voulant me racheter, je l'ai suivi. Et j'ai vu. J'ai vu des hommes et des femmes. Des forts et des faibles. Des assassins et des victimes. Des violeurs et des violés. La Vie et la Mort. Jé m'a expliqué qu'il avait mis les pieds là dedans parce qu'il y avait trafic de substances à l'intérieur. Etant malheureusement sur le carnet d'adresses de certains membres de ce club, car oui, c'était un club privé, il avait tout les pré-requis pour enquêter dans cette boîte. Et c'est ce qu'il fait encore.
Je ferme les yeux un instant, laisse le sommeil s'emparer de moi. La sensation du corps qui, à la fois s'alourdit et devient léger. Une vague de chaleur parcours mon corps, mais ce n'est pas l'acide. Encore quelques instants et je dormirai... J'ai besoin de me reposer... J'ai besoin...
Réveil en sursaut. La sensation d'avoir dormi une nuit complète. Je n'ai dormi que vingt minutes. Seulement. Mais bon, vingt minutes sans horribles rêves. Je sors mon téléphone portable de ma poche. La raison de mon réveil. Jé m'a appelé. Je consulte ma boîte vocale. La voix métallique décrit nombre de messages, provenance, date et heure. C'est Jé.
« Damien, c'est urgent. Rejoins-moi. Vite. Et prends tout ton matériel photo. T'as un nouveau job. »
La voix métallique prend le relais. Elle me propose plusieurs choix. Je fais celui de rappeler Jé. Répondeur. Je ne laisse pas de message. Je vérifie mon sac. Mon Canon et mes objectifs sont prêts à l'usage. J'enfile mes DocMartens, ma veste militaire et ma casquette. Je claque la porte. Une fois dans la rue, je me rends compte que Jé ne m'a pas dit où le rejoindre. J'essaie encore de l'appeler. Répondeur encore. Un mauvais pressentiment. Je prends le métro. Je sors à la gare de Lyon. Je marche quelques minutes, direction la gare marchandise. Une rue qui suit les voies de chemins de fer. Au loin, juste un type baraqué appuyé sur le mur. Il n'y a aucune voiture garée dans la rue. Un 4X4 BMW me dépasse et s'arrête devant le type baraqué. Un homme en costard en sort, accompagné par deux femmes et un autre homme. ils rentrent dans l'immeuble. Je continue d'avancer. Une Citroën C6 noire que je n'ai pas entendu arriver s'arrête à ma hauteur. La vitre conducteur se baisse. Jé est au volant, et me fais signe de monter. Je m'exécute.
« Alors, t'as pris ton matos?
- Ouais. J'ai tout pris.
- Ok. Regarde sur la banquette arrière, y'a des téléobjectifs, et un boîtier équipé infra-rouge. J'ai tout pris Canon. C'est bien ça?
- Oui. Tout est compatible avec mon matos. »
Sans rien ajouter, je contemple le matériel posé derrière. Il y en a pour de l'argent. Des longues focales, des 600mm, avec des ouvertures de fous et un boîtier EOS 1D trafiqué.
« Pourquoi tout ça?
- Petit cadeau du service. Tu travailles pour nous maintenant. Tu prends ta première leçon ce soir. »