Adhara
| Sujet: Fragment #2 - A Bayonne 28.05.08 16:35 | |
| Mardi 27 mai 2008 à Paris Je m’étais mis à courir sans réfléchir, et je l’avais oublié, je l’avais planté sur place. Quand j’y repense. Cet après-midi, j’ai vu une femme au téléphone. Son gamin jouait un peu plus loin. Elle a soudain hurlé de joie et s’est mise à courir dans une direction, comme si elle avait soudain un train à prendre, comme cette autre femme que j’avais regardée franchir un cordon de police en poussant des cris hystériques, un jour de manif. Son gamin est resté sur place, et je n’ai pas aperçu sa mère revenir. Je me souviens avoir espéré qu’elle s’en rende compte plus tard, mais je suis parti.
J’ai un peu fait la même chose il y a 10 ans, quand Ludovic et moi étions en vacances à Bayonne. Nous regardions la télé dans l’appartement. Ma mère est rentrée des courses. Bonjour Joaquim, devine ce que j’ai vu : Michel Plasson en répétition avec son orchestre dans la Cathédrale. Le concert est ce soir, mais cet après-midi il répète, s’habitue à l’acoustique, et l’entrée est libre. La phrase suivante j’étais déjà dehors, me glissant dans mes chaussures tout en courant, surexcité à l’idée de voir répéter, avec les commentaires, un tel phénomène. Une master class géante. Michel Plasson, l’orchestre du Capitole, ces noms d’étoiles prenaient subitement chair et devenaient humains. C’est à mi-chemin que j’ai réalisé que j’avais oublié Ludo à la maison. C’est curieux, mais je me souviens avoir trouvé ça drôle, et en aucun cas gênant. Je n’ai pas fait demi-tour, je ne me souviens pas y avoir pensé. L’entrée de la cathédrale était déserte, l’intérieur tout autant. Quelques rares personnes sont assises à écouter le chef et son orchestre répéter la Pastorale. Il est voûté sur la haute chaise de bistrot, les épaules rentrées, parle avec un fort accent provençal, crie un peu, mais au bout du bras, comme l’oiseau qui déploie ses ailes, la baguette s’envole, légère, rebondit dans les airs, tire l’homme et la musique vers l’infini. Encore vingt minutes et je sens une ombre se glisser près de moi. Je ne tourne pas la tête, Beethoven est en plein orage. Finalement je regarde. Ludo est là, et me regarde curieusement. Intrigué, déçu, meurtri, amusé, je ne pense pas avoir alors deviné ce qu’il pensait.
Sans doute l’enfant de cette femme la regardait-il ainsi. J’aurais du y faire attention. A-t-on toujours ce même regard curieux quand on sent l’autre connaître un tel bonheur qu’il nous en oublie ? | |
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