Fragment #425 – Kokhavah et moi : troisième jour

Juliette nous a rejoint hier soir après le boulot. La petite a fini par se calmer, je l’ai mise au lit, puis Simon, Juliette et moi avons dîné ensemble. Je leur ai expliqué l’histoire de cette petite, comment elle est née malencontreusement de ma relation avec Lola, comment j’ai décidé de partir pour Paris, l’esprit rongé par la culpabilité. Simon ne dit rien, je ne pense pas qu’il approuve cette lâcheté, mais Juliette soutient qu’elle aurait fait comme moi, qu’elle n’aurait pas pu élever un enfant à vingt ans.
« J’ai encore envie de m’amuser, de boire, de me droguer, de baiser… Avec un gosse, fini tout ça !
- Ouais, bon, ok, répond Simon, moi c’est surtout pour mes études que j’aurais eu peur, mais toi t’en faisais pas Julian, c’est ça ?
- J’ai arrêté juste avant que Lola tombe enceinte, en fait. J’étais en dernière année de licence en lettres modernes à Dijon.
- Pourquoi tu reprendrais pas ? C’est un peu bête de pas finir sa licence…
- Tu parles, lance Juliette sans me laisser répondre, ça sert à rien de toute façon un diplôme comme ça.
- Ben c’est toujours ça de gagné ! Et puis si il a presque fait trois ans… Ca fait trois ans pour rien !
- Bof, tu sais Simon, j’ai pas assez bossé pour avoir vraiment du mérite.
- C’est dommage.
- Je sais. »
Simon est rentré chez lui avec le dernier métro. Juliette est restée dormir à l’appartement. En pleine nuit, Kokhavah s’est réveillée en pleurant, et nous avons accouru pour lui raconter une histoire. Juliette et moi, on dirait un vrai petit couple, autour de ce bébé. Mais sans ambiguïté, sans attirance physique. Nous sommes ce que l’on appelle de vrais amis.
A aucun moment, nous n’avons parlé de Goran. A aucun moment, elle ne m’a jugé.
Je repense à Nalvenn, qui savait me rassurer de la même manière. Est-ce que j’aurais enfin retrouvé en Juliette l’amie que j’ai perdue en ma petite islandaise ? Est-ce que les amis sont interchangeables ? Est-ce que nous nous arrangeons systématiquement pour nous entourer des mêmes types de personnes ? Il n’y a guère de ressemblance entre Nalvenn et Juliette, certes. Mais elles jouent à peu de choses près le même rôle pour moi. Comme un substitut de mère. Une mère non-asphyxiante, mais au contraire épanouissante, une vraie bouffée d’air pur.
J’enfonce la tétine entre les lèvres de Kokhavah. Elle se met à téter goulûment. Juliette s’arrange un peu avant de nous laisser, la petite et moi, pour retourner au travail. Elle vient nous faire un petit bisou chacun, et me glisse à l’oreille :
« Tu assures, jeune papa. Courage ! »
Bonheur instantané.