Fragment #66 – Cendre #4 – Fragment #1 : Une autre faiblesse

Samedi 12 juillet 2008
à Dijon

La porte s'ouvre. Le chat me rejoint dans le salon et j'entends maman se déchausser. Elle doit sûrement rentrer du travail. Et cette petite boule de poils blanche prend mes genoux pour son panier. Ce n'est pas si désagréable d'être l'objet d'un autre. Quoique. Je ne me suis jamais demandé ce que ressentait Dimitri. C'est un peu mon objet. J'écris ce que je veux de sa vie. J'écris sa vie comme je veux qu'elle soit. Et quand j'ai fini d'écrire je ne reste pas en lui, je l'enferme très loin de moi pour ne pas entendre ses cris et pleurs. Cela doit être violent, je ne sais pas si je pourrais supporter ça. Alors je l'enferme comme j'enfermerai ce bol au fond du placard après l'avoir débarrassé de la dernière goutte de chocolat, et des faibles empruntes de mes lèvres qui asymétrisent sa divine circularité.
« Tu vas pas voir tes copains aujourd'hui ?
- Si, ils doivent m'attendre d'ailleurs. Mais il fait chaud alors je les fais poireauter un peu.
- Ouais tu as raison. S'ils veulent une insolation c'est leur choix. Il y a une carte de bus neuve dans l'entrée, deuxième tiroir, si jamais tu as besoin... Tu bois un chocolat ?
- Oui.
- En été ?
- Oui, pourquoi pas ?
- Parce qu'il fait chaud par exemple... Mais jamais assez pour ne pas savourer un bon chocolat n'est-ce pas ?
- Exactement.
- Tout comme ta mère, tu changeras jamais... Bon je dois faire quelques courses, passe une bonne journée mon fils.
- Toi aussi.
- N'oublie pas de bien fermer la porte.
- Non t'inquiète pas. Je vais pas tarder, j'aurai pas le temps d'oublier. »
Je finis mon bol puis le rince mécaniquement, sans respect ni amour. Je l'entrepose avec ses semblables, derrière les verres à sirops, et l'abandonne dans le noir du meuble en bois. Sans regrets. Oui j'en suis sûr. Je suis faible de cœur… Mais je suis si fier de ce que je suis. Et si fier d'être si fier. Pourquoi changer. Pourquoi libérer Dimitri. Pourquoi le respecter, me respecterait-il. Si je le méritais au moins... Et s'il trouvait mes mots. S'il se retrouvait subitement face à lui-même... Non. Impossible. Impossible... Je referme la porte.

Dehors, la rumeur fait beaucoup de bruit. Elle fait le bruit du vent qui dort, des feuilles vertes qui tachent le macadam d'antilumière, de la sueur qui coule à flots et du visage menaçant de l'orage. C’est peut-être vrai alors. Il existe une cinquième saison. Ou alors un multimultimilliardaire a fait déplacer Dijon par hélicoptère pendant la nuit, jusque sur Venus.