Fragment #10 - Sables mouvants et crise d'angoisse

Je viens de déposer Capucine chez elle dans le 14ème arrondissement, et je suis au téléphone, dans la rue, avec je ne sais pas qui. Je ne marche pas mais j’attends quelque chose ou quelqu’un. Sur le sol à quelques mètres de mes pieds, une zone du trottoir est en travaux. Une jeune femme attend elle aussi ; ses pieds prennent appui sur cette partie de trottoir qui n’est pas bitumée. Je remarque qu’elle s’enfonce dans le sol, progressivement, de plus en plus. Je finis par comprendre ce qui se passe et, loin de paniquer, je dis sur le ton de la plaisanterie à mon correspondant téléphonique : « Tu savais qu’il y avait des sables mouvants à Paris ? » La femme m’entend, normal c’était fait pour, elle a un air du genre « ah ouais je viens de comprendre, c’est des sables mouvants, trop drôle ». Je raccroche et je la sors de là. Je la dépose juste à côté, encore sur une zone non bitumée et elle recommence à s’enfoncer. Je l’extirpe une nouvelle fois et la dépose cette fois sur une surface dure. Je commence à trouver cela anormal, d’autant plus que juste à côté de nous, il y a une grosse bestiole rampante immonde, dans les tons rouges, montée sur plein de pattes, dont le dos n’est qu’une immense langue destinée à bouffer tout ce qui se présente à proximité. Elle doit mesurer environ un mètre de long. Heureusement, elle semble ne pas posséder d’yeux et avoir une mobilité réduite malgré ses pattes ; elle ne doit pas être très dangereuse. Je décide d’appeler la mairie du 15ème (alors qu’on est toujours dans le 14ème) pour les prévenir qu’il y a des choses bizarres qui se passent dans le coin. Ça tombe bien, l’immeuble juste de l’autre côté de la rue est en travaux, et sur l’échafaudage est inscrit en grand le numéro de la mairie. Mais je n’arrive pas à le lire, et je me retrouve sans transition chez Capucine, à qui je raconte ce que je viens de voir. Elle aussi trouve cela scandaleux, il faut absolument les alerter, elle me donne le numéro.

Je me retrouve à nouveau dans la rue, et je vois que des ouvriers sont arrivés entre-temps pour finir les travaux sur le trottoir. En m’approchant, je constate qu’ils sont enfoncé jusqu’à la taille dans un genre de ciment frais de couleur noirâtre et qu’ils sont en train de sculpter avec des truelles une horreur d’un mauvais goût accompli. Mais ils n’ont pas l’air d’être au courant pour les bestioles. La zone de sable mouvant se trouve d’ailleurs subitement surélevée par rapport au sol et je comprends que ce qui attirait la jeune fille vers le bas était une autre des bestioles immondes, qui était sur le point de l’avaler. J’appelle enfin la mairie et je tombe sur un employé qui me dit qu’il ne peut rien faire si je ne donne pas une adresse précise, mais il m’est impossible de lire les noms de rue, malgré le nombre anormalement élevé de panneaux. Je décide donc de raccrocher, d’avancer un peu pour trouver un panneau lisible et de rappeler.

Quand j’en trouve finalement un, un homme que je reconnais comme le responsable des anomalies braque une arme vers moi pour m’empêcher de téléphoner. Pas le choix. A côté de moi, un autre homme téléphone. Je le reconnais comme un complice. Le premier s’approche du second et lui dit : « S’il vous plait Monsieur, ne téléphonez pas... Non vraiment, vous ne voulez pas ? Bon d’accord. » Il range son flingue, se tourne vers moi, et avec un sourire des plus hypocrites, me dit : « Il y a des privilégiés dans la vie ». Je trouve la mise en scène pitoyable et je réponds : « C’est ça oui ». Fin du rêve.

***

En me réveillant, je ne me souviens pas immédiatement du rêve. Toujours le même malaise profond et inexplicable qui m’indique clairement que j’ai trop dormi et qui me donne un sentiment de culpabilité particulièrement désagréable. Il est 19 heures 24 selon mon téléphone portable. Je prends la ferme résolution, pour la millième fois depuis trois mois, de ne plus céder à la tentation de la sieste. Ça ne me réussit pas et ne me repose nullement. Puis en cherchant des yeux mon paquet de cigarettes, je pose le regard sur ma table basse, violemment rouge. Le flash. Les bestioles. Le rêve entier me revient, son déroulement incohérent, ses événements insensés, et surtout cette impression d’évoluer dans un environnement très hostile. Une sorte d’angoisse sourde m’assaille, j’essaie de me raisonner, après tout ce n’est qu’un rêve. Mais rien n’y fait : je suis complètement taré, c’est sûr, sinon je ne ferais des rêves aussi délirants, je suis en proie à une véritable crise de panique, je suis secoué d’un tremblement incontrôlable, et je cherche désespérément autour de moi une solution, une réponse. Un apaisement. Une clope.
Aucune bonne résolution, aucune privation de sieste ne résoudra le problème. Il faut que j’aille voir un psy.

Téléphone. Capucine, justement, qui de sa voix snob de jeune femme du monde me demande comment je vais à la soirée d’Amicie H*** et Hortense de T*** demain soir. Et merde, il ne manquait plus que ça. En plus du baptême de mon trente-septième petit cousin dans l’après-midi. Impossible d’y échapper : Louis, Jean et Alexandra y vont aussi et me supplient depuis deux semaines. Bon, si ça arrange Capucine, je l’y emmènerai avec la voiture de Maman.