Fragment #152 - Gay Pride

La chaleur est écrasante, la foule délirante. J’ai mal aux pieds dans mes Manolo. Lulla sourit comme une débile, chante, danse. En tournant la tête je me rends compte que tout le monde sourit, danse et chante. Dans mon nez, la poudre me gratte avant de descendre dans ma gorge en vague d’amertume. J’aurais dû prendre un gramme de plus.
« Lulla, chérie, rappelle-moi ce que je fous là ?
- Tu célèbres la fierté gay et lesbienne.
- Hum. Jusqu’à preuve du contraire, je ne suis ni gay ni lesbienne. »
Là, je sens que j’aurais dû me taire. Son visage d’ange se décompose, ses yeux tremblent, sa bouche s’affaisse. Mais elle se reprend assez vite, passe ses mains autour de mon cou, m’embrasse, murmure :
« Je t’aime, Sylvia. »
Merde. Faire semblant que je n’ai pas entendu. Non, ça craint. Gagner du temps.
« Hein ?
- Même si t’es vraiment une salope parfois. »
Elle me regarde avec un demi-sourire, et je ne sais pas si elle est sérieuse ou pas. Triple fuck. Discrètement, je fouille dans mon sac dans l’espoir dingue de retrouver le cachet d’ecsta que j’y ai perdu hier soir. Je suis obligée de me pencher légèrement pour regarder ce que je tiens entre mes doigts. Putain c’est une vraie pharmacie, ce Chanel vintage ! Je me décide pour un Lexomil à défaut de retrouver mon taz, ça me permettra peut-être de supporter l’ambiance un peu trop « gay » à mon goût. Je me sens mal au milieu d’eux. Est-ce vraiment normal que deux hommes ou deux femmes s’aiment ? Je repense à ma petite mère et à l’éducation catholique qu’elle m’a donnée. Je ne l’ai pas rappelée depuis mon premier shooting, il faut que j’y pense.
Je ne crois pas en Dieu, mais merde, s’il y a deux sexes sur Terre, ça ne peut pas être un hasard. Tous ces arcs-en-ciel partout, ça me donne la gerbe. Et, alors que je l’avais oublié, le serpent me mord violemment l’estomac. Tu étais si agréable quand tu dormais…
Puis je me rends compte que Lulla me tient la main. Je me dégage violemment.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
- On peut s’en aller ? J’en peux plus, là.
- C’est quoi le problème, Sylvia ?
- Rien. Laisse tomber. Je vais boire un coup, me poser je sais pas où. Appelle quand t’as fini. »
Je m’extirpe de la foule, m’éloigne. La tête me tourne. Je ne sais quoi, mais tout au fond, quelque chose me gène profondément. Et, planquée entre deux pots de fleurs, je vomis mes tripes en pleine rue.