Fragment #138 – A la recherche

9h27. Les trois vieilles dames nous attendent comme convenu, profitant au bas de leur immeuble d'une pseudo fraîcheur matinale, ou du moins du peu d'ombre que les platanes fourniront dans cette journée qui promet d'être, encore aujourd'hui, d'une chaleur cuisante. Il n'est pas dix heures et déjà les poils sur mon torse se tordent et frisottent à cause de la moiteur qui nous entoure. Il faut dire qu'on marche vite depuis que nous sommes descendus du RER.
C'est Lilian qui s'adresse à elle, et c'est la chef – j'ai décidé de l'appeler ainsi – qui répond. Elle nous donne sur un papier froissé une adresse qu'elle ne veut réellement lâcher qu'après avoir posé une dernière question. Indiscrétion de vieille commère : « Qui est-ce que vous cherchez, messieurs ? »
Non contente de s'être fait appeler monsieur Laura se rue sur un « Julian Mahogany » qu'elle leur lance froidement avant de s'en retourner.
Nous nous en allons, je peux sortir de mes poches les mains que j'avais dû en arrivant y ranger.
Lilian tient dans ses mains l'adresse, moi le plan, et Laura Simon. Nous trouvons rapidement le foyer indiqué. C'est un grand immeuble sans balcon d'aspect vieilli et mal entretenu. A l'accueil un quinquagénaire nous accueille derrière ses petites lunettes rondes. De sous sa moustache grise s'échappent des sifflements. Aucun Julian Mahogny n'est installé ici en ce moment, ni ne s'est installé ces derniers mois. On est tous déçus, on y aurait bien cru ; mais je crois qu'on se doutait tous qu'on ne le trouverait pas ici dès que l'on a vu la façade jaunie de l'immeuble. Un Julian Mahogany qui se respecte n'oserait pas y mettre les pieds. Lui est sa vanité n'y résisteraient pas. Où dort-il ? Qui l'héberge ? Bonne question. On sort un peu hagard ; nous errons quelques minutes dans la rue jusqu'à ce que Laura se mette à réfléchir tout haut sur les fréquentations de Julian, et les endroits qu'il connaissait bien. Ou du moins de ce qu'elle en sait. Quand au bout de quelques nom de places, garçons, parcs, filles, elle s'arrête, c'est Simon qui semble s'en être fait un ami qui continue. Il est un peu moins laconique, mais toujours rien d'exhaustif. Il parle d'une certaine Juliette, dont Laura aussi a prononcé le nom. Une fille qui travaillait avec lui à Mac do. On décide de se rendre là-bas. En plus c'est bientôt l'heure de manger.
La petite troupe se met en route. C'est encore Laura qui parle quand nous nous retrouvons devant une caisse tenue par une demoiselle à casquette rouge. Nous nous contentons, comme des ronds de frites, de sourire légèrement.
« Excusez-moi, je suis une amie de Julian Mahogany. Je sais qu'il était ami avec une fille qui travaille ici. Juliette je crois.
- Elle prend à 11h30. Vous pouvez attendre dix minutes. Mais tu sais, Julian ça fait un bout de temps qu'il est parti. Là je peux pas te dire où il est.
- Ok, c'est pas grave, on va attendre Juliette. On va manger prendre un truc en attendant. »
On s'assoit dehors pour manger, ou plutôt avaler ces trucs gras et sucrés. C'est pas bon pour mes muscles tout ça. Mais bon vu ce qu'on marche dans la journée je peux bien me permettre un petit écart alimentaire. Dire que dans à peine deux mois, je serai moi aussi dans cette ville, avec mon rêve sous les pieds un casque sur la tête.
La demoiselle brune qui porte ‘‘Sofia’’ sur son badge agite les bras dans notre direction. Juliette a du arriver. Lilian et moi nous levons. Une fille un peu plus rondouillarde se tient devant le grill. En nous voyant elle se rapproche avec quelques gouttes de sueurs sur le front.
« Lilian ? dit-elle en le regardant. Tu ressembles vachement à ton frère.
- Oui justement, on voulait savoir si tu savais où on peut le trouver en ce moment.
- J'ai pas beaucoup de nouvelles moi. Voire pas du tout en fait, depuis. -Elle fouille dans son téléphone.- Ça fait plus d'un mois que je n'ai pas reçu de message de lui. Je sais qu'il devait partir en Croatie avec son mec, mais ils se sont séparés un peu avant le départ alors j'ai pensé qu'il était resté là, mais si vous non plus vous avez pas de nouvelles, c'est possible qu'il soit parti, en fait. »
Une manager à l'air sévère nous regarde avec insistance. Nous quittons les lieux après que Juliette nous ait laissé son numéro sur une serviette en papier.

Ma Laura, que tu es belle au soleil. Nous nous promenons un peu sur les bords de Seine avant de rentrer rue de la Folie Méricourt. Demain tu travailles, on devra se passer de toi pour nos recherches.
À 19h Juliette répond enfin au message de Lilian. Ils conviennent d'un rendez-vous pour demain.

Bonne nuit à vous ma petite famille. À toi aussi ma Mélissa.