Fragment #149 – Ni rond ni court

Jeudi 21 août 2008
à Plombières les Dijon

12h13. Ma mère rentre du boulot. Je lui ai fait réchauffer, comme convenu, les tomates farcies qu'elle trouve toutes chaudes dans le four. Pour ma part je vais courir. Je n'ai pas encore faim vu l'heure à laquelle je me suis levé, et j'ai un programme chargé pour être entièrement prêt dans un mois, prêt à toutes les épreuves, toutes les disciplines.
Je descends, mes baskets aux pieds, pour la voir après l'avoir entendu.
Elle est en train de manger, le chat -que j'ai du mal à appeler Jean-Pierre – sur les genoux. Elle me tend une enveloppe presque sans lever les yeux de son assiette.
Lettres calligraphiées à l'encre violette, je reconnais l'écriture de Laura. La lettre attendue est arrivée. Je m'assieds pour lire.

Lundi 18 août 2008,
à Paris

Mon petit frère chéri,
Voilà comme convenu une lettre pour te raconter mon entrevue avec cette Élisabeth, la vieille dame que nous avions rencontré au Kremlin, tu sais, la voisine de Julian.
Elisabeth se souvenait de moi, tu sais, quand je suis sortie avec Nathan, il y a deux ans. Nathan dont l'appartement a brûlé, parce que c'est chez lui que vivait Julian. Je me suis alors rappelé que Nathan m'avait parlé d'elle, plusieurs fois. La vieille Elisabeth. Une de ses voisines.
Elle m'a demandé pourquoi je t'avais donné le briquet, tu sais, tu te souviens, ce petit manège avec la figurine en plastique. Nathan m'avait demandé de te le faire passer, mais je ne comprenais pas pourquoi, alors je voulais qu'il te revienne à ton insu. Elle m'a dit que je n'avais rien compris, et que le briquet devait être à moi, que Nathan avait dû se tromper. Puis elle a parlé d'un truc bizarre, les « trois points », elle a dit qu'ils sont sur moi et sur le briquet à la fois, et que c'est pour ça que le briquet doit me revenir. Paraît-il que c'est un symbole de je ne sais quoi, l'Agartha, une histoire bizarre de monde caché. Le symbole du petit chien, elle a dit. Il existe 88 symboles dans ce genre. Enchantée de le savoir.
Ensuite, pour finir, elle m'a appelé Alexandra, et comme je l'ai corrigée, elle s'est agacée d'un coup et m'a mise dehors. Vieille peau. Pour ma part, je n'ai aucune envie de plonger dans ces délires psychédéliques. Ca me fatiguait déjà quand Nathan me bassinait avec ça -sans doute que la vieille l'avait endoctriné avec ses idées bizarres- et je souhaite que Julian n'aie pas cherché un sens à tout ça, parce que c'est une perte de temps. Heureusement, Julian est quelqu'un de tout à fait rationnel, même s'il est parfois un peu lunaire, et je suis certaine qu'il saura distinguer la réalité du délire.
Je te demande de ne pas t'égarer, petit frère. Ce briquet, c'est juste un briquet. Il n'y a pas d'Agartha ou je ne sais quel monde caché. Ce n'est pas par là que vous trouverez Julian.
Fais attention à toi. Tiens moi au courant si vous avez des nouvelles.
Je t'embrasse.

Ta soeur qui t'aime fort.

Je replie la lettre, dis à ma mère que Laura va bien, et monte ranger l'enveloppe dans ma chambre. Je redescends, maman a les larmes aux yeux mais ne dit rien. Elle mange en silence.
Je pars courir. Il pleut.
Je cours mais je cogite.