Fragment #69 – Cendre #7 – Polly Pocket

« Bonjour Dimitri. Comment ça va aujourd'hui ?
- Quel jour on est ?
- Jeudi. Pourquoi ?
- Rien. Je me demandais, c'est tout.
- C'est un jour important ? Ou demain peut-être ?
- Euh, je n'ai pas l'impression. Pourquoi cette question ?
- Je ne sais pas, tu attends peut-être de la visite.
- Le Docteur Privat n'a pas une voix très élégante mais c'est très bon chanteur. Il dit qu'il n'est pas question de parler de visite tant que je ne me confie pas à lui.
- Ah oui c'est vrai, je me souviens... Alors pourquoi est-ce ta première préoccupation ce matin de savoir quel jour on est ?
- Je me demandais juste quel jour on était, c'est tout... »
C'est à dire que, très cher ange d'ici, je m'étais habitué à me repérer temporellement grâce aux menus de midi. Mais les menus passent et se ressemblent désormais autant que les jours. Combien de jours d’ailleurs. Je ne sais plus. L’ange fait le tour de ma chambre. Il vérifie que je n’ai pas cassé mon verre pour me trancher les veines dans la salle de bain, on ne sait jamais, si ce matin il avait parlé à mon n-ième réincarnation. Il se penche ensuite pour chercher ce que j’aurais pu cacher sous mon lit, essaie de soulever la commode pour s’assurer que je n’ai pas passé la nuit à essayer d’arracher les meubles fixés au sol. Car oui, je vis depuis quelques jours dans une sorte de faux monde. Quelque chose qui ressemble parfois à un hôpital, parfois à une prison, et qui a un amer arrière-goût de studio Polly Pocket.
« Ok, tout va bien. »
Voilà, il a sa réponse. Maintenant il pourrait partir, mais il va rester encore une minute. Il va s’adresser à moi pour m’offrir l’illusion déjouée qu’il s’intéresse à mon nouveau quotidien alors que je ne suis pour lui qu’un patient comme un autre. J’ai cessé d’espérer que le malentendu qui m’a mené ici lui saute aux yeux.
« Aujourd’hui tu as rendez-vous avec le Docteur Privat à... 10h30. »
Je sais, comme hier, comme demain. Comme d’habitude.
« Comme d’habitude, je ne te donne aucune recommandation, tu sais comment ça se passe. Et puis tu n’as jamais été en retard, c’est bien ça. »
Oh... Comme c’est gentil...
« Dis-moi, ça avance avec le Docteur ?
- Comment ça ?
- Vos entretiens ?
- Ah, euh... Oui oui, doucement mais sûrement...
- Vraiment ?
- Oui pourquoi ?
- Ce n’est pas ce qu’il m’a dit Dimitri...
- Oui je m’en doute mais il en demande encore et toujours plus, et il ne rend pas beaucoup en échange alors forcément, la machine est pas très rapide tu comprends...
- Ok, je vois...
- Mais t’inquiète pas ça avance quand même un peu.
- Ok. »
L’ange sort de sa poche un carnet millénaire pour y griffonner quelques symboles de ce langage secret à une page qui porte sur son front le numéro de ma chambre ainsi que la date du jour. 28/08/2008. Je ne lui poserai pas la question demain.
« Bon, je fils voir les autres et je repasse après si j’ai le temps. Sinon à demain. »
Menteur, tu dis ça tous les jours et tu n’es jamais revenu.
« D’accord, à demain. »