Fragment #445 – Le Silence

Le silence. D’ors et déjà, j’en ai fait mon ennemi le plus intime. Il embaume le temps dans son cri figé comme la pierre. Il est le trou noir aspirant chaque son, chaque mouvement, chaque intention de son. Sa clairvoyance est inégalable. Il précède les cris et les étouffe, il saisit les mots et les écrase. Rien ne lui échappe. Du « ploc » des gouttes dans nos transfusions, au froissement des draps blancs comme la neige. Il nous enveloppe et nous asphyxie, il est inévitable. Je me dis que Dieu est peut-être fait de silence. Un silence sans début et sans fin. Un silence sans haut et sans bas. Une absence qui fait que l’on ne pense pas, que l’on ne pense même pas au fait de ne pas penser. Un vide. Parfois j’ai l’impression que le néant est là, et qu’il cherche à m’avaler dans son énorme tube digestif fait de silence et de rien. Dans la même chambre que moi, Dimitri est là, il ne bouge pas, il ne parle pas. Pourtant, d’après ce que j’ai compris, les médecins n’attendent que ça. Lève toi Dimitri, parle moi ! Regarde, je suis là, je suis incapable de parler, cela fait des jours maintenant, et je meurs à petit feu sous le poids de ce silence de granit, de ce métal qu’on coule sans bruit sur mon esprit. Je me sens anéanti. Parle moi ! Tes mots sauront me ranimer, réveiller mes sens, attiser mes émotions. J’ai besoin de ce contact, de ce lien entre nous. Ton regard me fuit et me détruit. Ne vois-tu pas que tu me tues ?