Fragment #156 – Rien ne meurt, tout se transforme

« ¿ Quieres un café ? »
Pas de réponse. Je verse le liquide brûlant dans une tasse.
« ¿ Un té con leche ? »
Sa voix s’éteint dans un murmure. Je retourne dans le salon, où Mamá feuillette machinalement un magazine féminin. Soudain, ses doigts arrêtent leur ballet et ses yeux sont absorbés par une publicité. Je la reconnais ; même à cinquante mètres je la reconnaîtrais. C’est celle où j’ai un œil au beurre noir et l’arcade arrachée.
Ses lèvres commencent à trembler. Joder, Mamá, je t’adore mais parfois tu es vraiment insupportable. Je sais très bien ce qu’il se passe dans sa tête. « Pobre hija, pobre hija mía, que pasó, eras tan hermosa... » Et ce genre de conneries.
« Estoy bien. Estoy muy bien. No te preocupes. »
Ses yeux sont ridiculement mouillés, comme ceux d’un crapaud. J’étouffe ici, avec ma pauvre mère trop fragile et mes deux sœurs trop jeunes ; je voudrais pouvoir faire mon travail sans avoir à penser aux gens que je vais choquer.
Je vais chercher mon paquet et un briquet, me réfugie sur le balcon. Compose le numéro de Lulla.
Bip…… Biiiip….. Biiiiiiiiiiip…
Fuck. « Ouais Lulla, c’est moi. C’est la merde ici. Bref. On se voit quand je rentre. Ciao. »
La nuit tombe doucement sur ma belle Madrid. L’air est doux et chargé d’odeurs de tapas qui remontent de tous les bars.
Je m’enferme dans la salle de bain, fais couler l’eau chaude dans la baignoire ; fouille dans les vêtements que j’ai acheté tout à l’heure avec Marco. Une minirobe vert émeraude, tellement vaporeuse qu’on croirait de la chantilly. Une paire de bas noirs. Une grosse ceinture dorée. Et enfin mes nouveaux escarpins Louboutin.
Il est temps d’aller goûter ce que sont devenues les nuits madrilènes.