Aldébaran
| Sujet: Fragment #8 - Pleine de Grâce 09.04.08 22:06 | |
| Samedi 10 juin 2006 à Dijon « Sainte Marie, mère de Dieu… » Je me suis posé dans une rue de Dijon. Coin de trottoir pour soutenir mon derrière un instant. Coin de trottoir pour soutenir ma vie, j’ai l’impression. Et comme quand j’étais enfant et que je marchais sur cette bordure : « on disait que tu étais sur le haut d’un volcan et que tu pouvais tomber à tout moment. » Dans la boue du caniveau. Dans la vie tout simplement. La vie. Celle qui bouscule, que tu ne sais pas comprendre. Que tu ne fais que suivre, au jour le jour. Je suis englué dans mon enfance. Encore. Je me suis engueulé avec mon père. Encore. J’ai l’impression qu’il ne me comprend pas. J’ai l’impression que personne ne me comprend vraiment. L’adolescence, on appelle ça. Si je pouvais en sortir. Simplement, si je pouvais partir. Je donnerais tout pour ça. Mon foie, ma rate, un poumon. Un rein. Ou les deux. Mon sang ; ma vie. Les voitures passent. A des allures irrégulières. Cinq minutes sans en voir une. Puis deux de suite. Je note quelques immatriculations. Rapide calcul mental. Je vois passer le Doubs, le Jura, et même l’Isère. Je me lève. « Sainte Marie, mère de Dieu… » Des réverbères dans la nuit moite. Et les rues vides ; sans toi. Ces rues qui passent devant mes yeux sans même que je m’en rende compte. Et je marche, sans m’arrêter, sans vraiment savoir où je vais. Je m’arrête dans un coin, sombre et dur d’être sans toi. Lumière à ta fenêtre. J’étais arrivé là, guidé par mes pas ; hasard imaginaire ; j’avais suivi mes pas. Jusqu’à chez toi. C’était allumé. Comme toujours. Et je te voyais là-haut, bizarrement ; muette à travers tes doubles vitrages, mais toujours si belle, à la lumière de tes fenêtres. Lumière de mon cœur, et si muette. Comme toujours ma Desdémone. Mime derrière tes fenêtres ; je veux te faire parler ; mais tu ne m’écoutes pas, mon amour. Et déjà tu n’es plus là. Tu as éteint la lumière. Image du passé. Ressurgie devant tes rideaux inchangés. Mon regard, hagard un moment. Descend le long de tes murs. Ces murs qui ne t’appartiennent plus. Qui ne nous appartiennent plus. Je retrouve une vierge, dans sa niche. Nous jouions sous elle. Il y a quelques années. Jeux d’enfance. Mais déjà si adultes. Je nous sentais sous sa protection, à l’époque. Et j’y reviens. « Sainte Marie, mère de Dieu… » Je suis le pécheur. Celui qui a fui. Fui devant ton départ, ma Desdémone. Je regarde cette effigie de plâtre. Ses yeux si expressifs, son voile aux plis marqués, sa robe virginale. Elle, au moins, n’a pas été souillée. Elle seule n’a jamais été souillée. Je me sens sale tout à coup. Et pudique à la fois. « Sainte Marie, mère de Dieu… » Je suis… Le fruit de tes entrailles. Pauvre pécheur. « Priez pour nous. » | |
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