Fragment #77 - Un certain détachement

Je remplis le verre devant moi au robinet. L'eau y est toujours dégueulasse mais j'ai pas eu le temps de faire les courses. Je le vide en une fois et le remplis encore. Mogwaï va à fond dans l'appartement, malgré l'heure avancée de la soirée. Les murs tremblent, le sol aussi sous la ligne de basse écrasante du groupe écossais. Je quitte la cuisine pour retourner dans le salon. Je ne me souvenais plus que l'appartement que nous avions quitté pour celui de sa soeur était aussi grand. Je me perds encore un peu, même si ces deux dernières semaines, je n'en suis quasiment pas sorti.
Je m'assois devant mon MacBook. Je me connecte sur le site du journal à Lille. Je rentre mon pseudo et mon mot de passe. Des mois que je n'ai pas réellement bossé dessus. Sean l'a bien entretenu. Il y a des articles sur des manifestations, des concerts, et bien d'autres choses qui se sont déroulés dans la région Nord-Pas de Calais. J'en lis quelques-uns, puis arrête finalement. Je reste planté un instant devant l'ordinateur sans rien faire, bercé par les sons de Mogwaï. Au bout de quelques minutes, je me lève et m'en vais dans le salon. Les enceintes s'y trouvent. Impossible d'entendre quoi que ce soit que la musique. Enfin presque. Je m'étends dans le canapé et fixe le plafond. J'arrive à fixer mon esprit un instant sur le plafond et la musique, mais très vite, les images de l'Enfer reviennent. Les images de mon cauchemar. Je me sens étrangement détaché. Je vois encore pourtant le sang, les os écrasés, le visage déformé. Mais, bizarrement, je ne me sens pas plus affecté que ça. Juste un vague souvenir. Comme si tout cela ne s'était pas réellement passé.
Juste après, Jé et moi étions partis. Les gorilles ne nous avaient pas approchés, affairés autour du corps inerte, que j'avais laissé quelques instants plus tôt. Puis, nous étions rentrés, en silence. Le lendemain matin, Jé m'avait filé les clés de l'autre appartement, à Montmartre, me disant de l'occuper tant que je le voulais. Je n'ai rien dit. Encore une fois, je n'ai rien dit à mon ami et nous nous sommes encore séparés, pour un temps. Seulement pour un temps, je l'espère.
La musique s'est arrêtée. Je me lève pour remettre un cd. Je choisis un autre album de Mogwaï. Je m'apprête à appuyer sur lecture, quand j'entends quelque chose vibrer. Je retiens mon geste et me tourne vers le reste du salon. Je cherche du regard la source du bruit. Je vois une petite lumière, briller en même temps que la forme bouge sur le coin d'une étagère. Mon portable. Je le prends dans ma main. 1 message reçu. Le 29/09/08.