Aldébaran
| Sujet: Fragment #16 - Père, 09.04.08 23:27 | |
| Dimanche 18 juin 2006 à Chenôve Je n’ai vraiment pas envie de me lever. Pas un instant. Il est onze heures et j’appréhende le moment où il me faudra descendre et afficher ce sourire de con. « Bonne fête papa ! » Mais je ne sourirai pas. C’est décidé. J’aurais ma gueule des mauvais jours. Je prendrais mon petit déjeuner face à lui. Je le fixerai dans les yeux. Et pas un mot ne me sortira de la bouche. Maman pourra faire tous les efforts qu’elle veut. Je ne parlerai pas. Encore moins pour souhaiter une bonne fête au destructeur de mes nuits. Je le regarderai. Ses yeux d’ambre me brûlent. Rougeurs sur ma peau. Je ne lui dirai rien. Il ne me soutirera pas un mot aujourd’hui. Je serai une tombe. Comme je l’ai été auprès de la famille entière. La ville entière. Le monde entier. Vous ne saurez pas. Je ne lui dirai rien. Le mieux peut-être, c’est de l’ignorer. D’ignorer ma douleur. Celle de ce que vous ne savez pas, celle qui est cachée au plus profond de moi. Celle de mes tripes. J’accumule. J’ai toujours accumulé. J’ai souffert. J’ai souffert pour que vous ne voyiez pas que je souffre. Et fut un jour ou tout est sorti. Pas par des mots, non. Par de la violence. Papa, tu comprends pas ? Je suis là à trimer comme un malade, et toi tu dis que je fous rien. Ne lève pas ce bras. Ne pense même pas à lever ce bras contre moi. Arrêt. Arrête tout de suite. Je t’ai été soumis. Longtemps. Mais ça ne peut pas durer. La soumission a un prix. Frappe-moi ! Essaye, rien qu’une seule fois. Et tu ne me verras pas de sitôt. Je suis à tes pieds. Parce que tu es mon géniteur. Tu as baisé maman, rien qu’une seule fois ; okay, trois fois peut-être si on compte tes deux autres mioches et tu te crois le père éternel. Je n’en ai qu’un de père, et ce n’est pas toi. Tu as perdu ton statut, je crois. Tu l’as perdu, en seulement quelques nuits. Des larmes au coin de mes yeux. Personne n’entend, hein ? Heureusement. Personne n’entend que je te crache à la gueule, tout mon mépris de fils gâté. Tu te dis heureusement que nous sommes seul à seul. Alors que je te crache à la figure. Tu t’essuies. Tu ne dis rien. Des larmes aux coins des tiens. Mais dois-je croire ces larmes ? Dois-je croire que tu ne mérites pas ce nom de Monstre ? Dois-je faire comme si rien ne c’était passé ? Rien ne s’est passé. Tu m’as aimé comme un père. Tu m’as adoré, tu m’as chéri. Du plus profond de mon berceau, tes larmes coulaient dessus de ma layette.
Je voyais ses yeux briller. Rouge flamboyant.
Tu me courses. Je m’échappe. Je titube un peu. Oui, j’ai bu. Tu ne l’avais pas vu, ça, hein ? J’ai bu pour pouvoir te faire face. Je titube. Je suis mal. Je déteste te faire face. Je déteste te vomir mon mépris au visage. Je titube. Dans la salle à manger. Je titube, tout est flou. Je bascule, tout est flou. Le net se fait sur un rideau. Ce qui nous cache des autres, de l’extérieur. Je titube, tout est flou. Je bascule tout est flou. Je m’accroche au rideau pour ne pas tomber. Il se détache. Il tombe avec moi. Je vomis. Père, je vous vomis. Des larmes au coin de tes yeux. Et la colère. Maman n’a pas compris. Elle a ramassé les rideaux, le lendemain, sans rien dire. Et les a nettoyés. Aujourd’hui je ne veux pas me lever. Je hais déjà cette possible confrontation. Te cracher dessus de nouveau. Et je ne le veux pas. Je préfère te fuir. Pour le moment. Je remonte les draps de lin, je cache mon visage. Je cache mon mépris pour toi, papa. Et j'adopte une position fœtale. | |
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