Fragment # 112 - Délicieuse perte d'équilibre

Je rattroupe les quelques affaires que j’avais avec moi en débarquant chez Zoé hier soir. Après tout cela, je n’avais pas le courage de rentrer dormir près de Théo. Je sais qu’il est en congé aujourd’hui, il s’occupera très bien de Kokhavah tout seul. J’ai un devoir à accomplir…
« Tu veux que je t’accompagne ?
- Non non merci. Pis avec le scandale que j’ai foutu à l’hôpital hier je ne suis même pas sûre qu’ils me laissent entrer aujourd’hui, alors épargne toi un aller-retour dans le vent va !
- T’en fais pas je suis sûre que ça va aller. T’as appelé Théo ?
- Non. Je ne suis pas prête. Je ne sais pas encore si je dois lui pardonner ce mensonge…
- Sois pas si dure avec lui Lola. Il vous aime toi et la petite. Il ne l’a pas fait contre vous.
- On verra ça plus tard… Merci pour la nuit Zoé.
- Tu rigoles ! Viens quand tu veux. Et donne des nouvelles hein. »

Quelques dizaines de minutes plus tard j’arrive devant l’accueil de l’hôpital.
« Heu oui bonjour. Je… Je viens voir Julian Mahogany.
- Vous pensez vraiment qu’on vous a oublié Mademoiselle avec le scandale d’hier soir ?
- Je suis vraiment désolée… Je peux quand même le voir ?
- Dans la mesure où aujourd’hui vous venez dans les heures de visite, bien sur que oui. Chambre 9.
- M… Merci. Madame. »

Je me sens débile. La pauvre !
J’arrive devant la chambre de Julian. Prends ma respiration, frappe, entre… et tombe nez à nez avec un jeune homme, un médecin. Mais pas de Julian.
« Heu excusez-moi j’ai du me tromper de chambre. Je cherchais la 9…
- C’est bien ici. Vous cherchez Julian ?
- Heu oui…
- Il est dans le parc avec l’infirmière.
- Bon alors heu… Merci. Je vais tenter de le trouver. »

J’arrive dans le parc roussi par les feuilles déjà trop faibles pour tenir encore aux arbres. Il n’est pas si grand. Je distingue vite Julian et la dame en blouse blanche qui l’accompagne. J’arrive derrière eux. Toussote pour signifier de ma présence intrusive. Julian me regarde, et après l’étonnement je sens un réel plaisir de me voir ici. Il a l’air tellement apaisé, tellement calme. Comme si je pouvais voir que le brouillard de son âme s’était dissipé dans ses yeux…

Il sourit.
"C'est Lola, mon ex petite amie, tu peux nous laisser ?"
L’infirmière me regarde. Puis s’en va doucement.
- Salut Julian... Même si c'est pourri de dire "salut" dans ce genre de situation...
- Quelle situation ?...
- Bah j'sais pas. Toi ici. Et moi qui vient seulement maintenant...
- Oh. Non mais ça va, t'inquiète pas. Je suis assez content de te voir, en fait. Je ne m'y attendais pas. »
Je suis subjuguée par le sourire qu’il me lâche à cet instant…
"Je sais. Et je t'avoue qu'on m'aurait dit ça hier je ne l'aurais pas cru... J'ai appris hier pour ton séjour ici en fait. Sinon tu sais, je serais venue avant mais...
- Je sais bien Lola, je te connais, tu ne me laisserais pas tomber. L'important, c'est que tu sois là, non ?
- J'imagine oui. »
Je prends discrètement sa main, tout en continuant à marcher entre les feuilles rousses que l'automne a arraché aux arbres majestueux.
"Comment tu vas ?"
- Heu... là tout de suite, je dirais que je suis nostalgique. J'ai l'impression que mon cœur bat comme il y a deux ans. »
Je sers un peu plus sa main.
« Si tu savais la vitesse à laquelle a battu le mien quand j'ai su que tu étais là... Que tu allais mal. Que je n'étais pas là… »
Il s’arrête et me regarde.
« Si je te demandais de sortir avec moi, là maintenant, tu répondrais quoi ?
- Qu'ils ne t'ont pas si bien soigné que ça finalement ! T'es toujours aussi dingue... Arrête tes bêtises tu penses pas un mot de ce que tu dis !
- Je suis guéri Lola, ils me laissent sortir demain. Débarrassé de tous mes problèmes, je suis le Julian sain que tu n'as jamais connu.
- Alors enchanté monsieur le nouveau Julian ! »
Nous nous asseyons sur un banc en pierre du parc de l’hôpital.
« Tu sais ça me fait bizarre tout ça. Avoir accouru comme une débile hier quand j'ai appris pour... ça. Avoir retourné l'hôpital comme jamais ! Je me rends compte que quand il s'agit de toi mes réactions sont toujours un peu... Disproportionnées !
- Théo a dû faire une drôle de tête…
- Il a bien cherché. Tu sais on était chez mes parents pour l'anniversaire de la petite... Il le savait depuis des semaines, il a mal choisi son moment pour le dire. Il n'avait pas le droit de me cacher ça. Tu fais partie de ma vie, qu'il l'accepte un jour ou non.
- Et si on ressortait ensemble, il l'acceptera, tu crois ? »
Ce sourire qu’il me décroche. Le Dieu séducteur. Je sens un feu s’embraser en moi… Sans que je ne puisse rien y faire.
« Dis donc je vois que t'as la patate toi ! Le tombeur est de retour... Mais joue pas avec moi comme ça. S'il te plait.
- Tu crois que je joue ? »
Non. Je le sais. Je le vois au fond de ce regard que je connais par cœur malgré tout ce qui a pu l’habiter…
« Je sais pas. Je sais plus moi... Je ne suis même pas sûre de bien savoir qui tu es maintenant.
- Je ne le sais que trop. Pas qui je suis, bien sûr, c'est difficile, après tout ce que j'ai vécu. Mais je vais te faire une proposition : je te laisse un mois pour mettre de l'ordre dans ta vie, savoir où tu en es avec Théo, avec toi-même, avec moi. Et après, tu me diras ta réponse. Si tu veux oui ou non sortir avec moi. Je sais que je ne peux pas ressurgir dans ta vie comme ça après tout ce que je t'ai fait, mais mes sentiments n'ont jamais faibli à ton égard, et pour la petite, ça serait peut-être mieux, tu ne diras pas le contraire. Et puis, ces quelques semaines, ça me laissera aussi le temps de me préparer, de me trouver un travail, un appart, de faire tout ce que j'ai à faire avant de t'accueillir dans ma vie comme avant, ou plutôt : mieux qu'avant encore."

Je suis complètement abasourdie par tout ce que j’entends. J’en ai rêvé tellement de fois… Mais maintenant il y a Théo, même si je lui en veux. Puis-je vraiment te faire confiance Julian ? Ne partiras-tu pas dans quelques mois en me laissant seule avec notre fille ? Je pause ma tête au plus chaud du creux de son cou. Julian se dégage, prends mon visage entre ses mains. Nos visages à quelques centimètres l’un de l’autre. Mon cœur s’emballe. Je ne peux plus bouger…
Il dépose un baiser tendre et doux sur mon front.
« Je t'embrasserais bien plus bas, ce n'est pas l'envie qui m'en manque, mais je ne veux pas faire de toi une femme infidèle, Théo mérite mieux que ça. Essayons de régler le problème en douceur et dans les règles, tu veux bien ?
- Heu oui... Oui j'imagine que oui. Je ... Je file Julian. Mais préviens quand t'es rentré chez toi ok ? Et on passera te voir avec la petite... Si tu veux bien.
- Je serai peut-être absent pendant un moment. Ca ne signifie pas que je ne pense pas à toi. Je t'appellerai de temps en temps, si tu me le permets.
- Bien sur... Je crois qu'on a besoin de toi dans nos vies tu sais.
- N'allons pas trop vite et faisons ça bien, d'accord ?
- Ta sagesse me sèche là ! Mais on fait comme ça, d'accord. T’as l’air tellement apaisé… !
- Tu vas découvrir en moi celui que j'aurais toujours voulu être. Moi-même, en réalité… »

Je dépose un baiser sur sa joue et m’éloigne doucement. Presque titubante. Assommée par tout ça.
Je ne sais même pas où rentrer…