Bételgeuse
| Sujet: Fragment #9 - Déjà demain 08.04.08 11:14 | |
| Mardi 20 juin 2006 à Dijon On est déjà demain. Cette phrase est tellement étrange, mais en même temps elle correspond tellement à la réalité de la perception humaine du temps qui passe. On ne s’en rend pas compte, mais notre montre nous dit qu’on a changé de jour. Je n’ai jamais bien compris le besoin que l’homme avait éprouvé de partager le temps, cette quantité indéfinie et indéfinissable, en secondes, minutes, jours, mois, semaines… Depuis le message de Charlotte, ma belle motivation est redescendue, j’ai seulement pris la peine de jeter une boîte d’épinards ouverte depuis plus d’une semaine, dont le contenu s’était recouvert d’une mousse marron-grise. Et puis je lui ai quand même envoyé un SMS, je n’aime pas qu’elle s’inquiète, surtout pour moi. Tiens, si je faisais une liste ? Comme je n’arrive pas à m’organiser, je vais faire une liste de ce qu’il faut que je fasse. J’attrape un crayon de papier à moitié grignoté, et une feuille qui traîne. J’abrège « voir pr vac ac Fr ». On a à peine eu le temps d’en parler lorsque l’on s’est vus. Un endroit avec encore plus de soleil qu’ici… Nos faltas a todas. Mais sûrement la mer, ou une piscine. Mama, Paula, Cristina. Francis, ses yeux... ses yeux, qui dérobent mon âme, qui pillent mon cœur…N’importe quoi. (mais je dirais n’importe quoi pour m’empêcher de trop penser). Juste un plan cul. Un très bon plan cul. Qui peut obtenir de la bonne coke, c’est tout. Que suis-je devenue ? Je ne me reconnais pas, je n’ose pas me reconnaître dans ces pensées. « Reprendre projets ». Je corrige : « Reprendre MES projets ». Tous ces probables futurs qui étaient les miens, toutes ces envies qui coulaient dans mes veines, où sont-elles passées ? De biens jolis mots sur le papier, mais cela ne veut plus rien dire. Mon poing se referme sur la feuille, j’ai l’impression que le moindre coin de feuille me rentre dans la peau. Peut-être même cette feuille réussira-t-elle à me couper légèrement, juste assez pour que de ma paume s’écoule un mince filet de sang, peut-être ferait-il une tache minuscule sur la feuille froissée, comme un sceau pour sceller une phrase qu’il est trop tôt pour laisser décachetée. Nos faltas a todas. Francis. Francis, qui me fait croire pendant de trop rares instants que j’existe vraiment, que sous cette carapace de sourires et de fierté espagnole se cache un petit bout de quelque chose, qui palpite peut-être même un peu. Je m’allonge, puis me recroqueville en position fœtale. Nos faltas a todas. Demain est un autre jour. | |
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