Samedi 01 novembre 2008
à Plombières les Dijon
Jour férié, samedi de Toussaint, et matin pluvieux. La mort frappe à nos portes, les gouttes tapent aux carreaux. Je déjeune dans le silence, la solitude et l'ennui. Je termine un des pots de confiture de ma belle-mère. Elle sent l'enfance, la vie et le soleil ; tout ce qu'il me manque aujourd'hui, tout ce qu'il lui manque loin de ses monts lyonnais.
Chrysanthèmes et imperméable chic m'accompagnent dans ma montée vers sa demeure. Son ultime demeure. Mon défunt mari repose sous cette pierre tombale. Il ne doit sûrement pas avoir de calendrier là-dessous, mais il doit sentir quel jour nous sommes. Sa fête a changé de date, c'est aujourd'hui que nous le fêtons. Que nous les fêtons. Il y a du monde dans le petit cimetière municipal. De vieilles dévotes bredouillant près du marbre ; des enfants pleurant leurs parents disparus ; des couples venus fleurir presque une allée entière de tombes devenues anonymes ; un chien aboyant à mort sous cette pluie battante. Cette pluie qui martèle les stèles fait résonner la pierre, fait murmurer le cimetière. Aujourd'hui les morts sont vivants et avec eux on discute sans craindre la moquerie. Mon Jean-Pierre, pauvre Jean-Pierre, nous avions encore tant de choses à vivre.
Il fait froid ; j'essuie une dernière fois le marbre alors que le clocher en contrebas sonne onze heures moins le quart.
Je m'installe pour la messe. Le père Vincent monte en chaire pour l'office. Nous étions dans cette même église au mois de mai, depuis je viens ici chaque dimanche. Je ne venais presque plus depuis que je m'étais mariée ; sûrement par manque de temps. Élever quatre enfants ce n'est pas toujours de tout repos. Et puis Jean-Pierre n'aimait pas venir. Alors je m'étais habituée à ne plus venir régulièrement. Mais je n'avais pas oublié pendant toutes ces années. Le catéchisme m'est resté, et la foi accompagne mes journées. Je ne suis pas de ces gens qui vivent constamment avec Dieu. Mais depuis qu'il a rappelé mon mari à lui, l'existence de Dieu s'est réaffirmée à mes yeux. L'office est plus long qu'à l'accoutumée, aujourd'hui est un jour spécial. Tout d'un coup je lève les yeux de mon livre de prière en me disant à moi-même que j'ai oublié de fermer la porte à clé. Zut ! Oh, ça ne se sait pas. Je suis affreusement distraite.
Les cloches sonnent midi, interrompant la minute de silence demandée par le père Vincent pour terminer la messe. Chacun se lève. Madame Rosevalde qui a perdu son mari il y a plus de dix ans déjà s'approche de moi. Elle et ses soixante-dix-sept ans me confient que la messe était plus belle l'an passé. Selon elle le père Vincent doit être fatigué. Je ne sais que répondre. Elle croit pouvoir me soulager en me disant qu'elle sait ce que je ressens, qu'elle sait que cette absence est pesante et irremplaçable, et que Dieu nous appellera bientôt à lui, qu'il faut être patient.
J'y pense en redescendant la rue. Je n'ai pas cette impatience. Je vais à l'église par respect pour mon mari, pour lui montrer que je ne l'oublie pas, mais je n'ai pas hâte de le rejoindre. Elle n'est pas de moi, mais cette phrase me revient en ce moment.
Je préfère le vin d'ici à l'eau-de-là. Je trouve que c'est un jeu de mot assez fin. C'est étrange, mais je n'arrive plus à me souvenir d'où je la tiens.
En arrivant je me rends bien compte qu'effectivement la porte était restée ouverte. Je rentre et enlève mon imperméable. C'est en l'accrochant au portemanteau que je prends peur. Il y a du bruit à l'étage. Des gens qui marmonnent. J'aurais pu sortir en courant mais je monte les escaliers sans un bruit après avoir pris dans la cuisine un de ces couteaux de boucher dont je me sers pour découper les beaux morceaux de viande. Je connais ces voix.
« Oh mon Alexandre, tu es là ! »
Il sort de sa chambre et vient m'embrasser. Je le sers contre moi. Je me rends compte du ridicule lorsque les yeux de Melissa fixent le grand couteau qui se trouve désormais juste derrière la nuque de mon benjamin de fils.
C'est si bon. Je ne veux pas le lâcher. Le couteau non plus, il pourrait nous blesser en tombant.