Fragment #1 - Mortelles Pensées

Il fait froid dehors, la brume s’est levée ; elle a envahi les rues lentement, sournoisement, et forme maintenant un halo autour des lampadaires.
Dans la rue, quelques voitures troublent le silence de la nuit mais nous sommes en province et il est minuit passé... Ce sont les heures sombres où le mal semble pouvoir prendre le dessus, où les angoisses prennent forme et où la réalité se dissout dans les fantasmes engendrés par l'intellect tourmenté.
La lumière fusionne avec l'ombre pour créer de nouvelles nuances. Les lampes diffusent une couleur chaude et chaleureuse comparable à du miel qui m'apaise. Sur la table basse du salon fume une tasse de thé à la menthe dont l'odeur poivrée monte en volutes jusqu'à moi. Déjà je me calme.
Je prends la télécommande et lance le CD. Les premières notes de la Sonate pour piano n°23 en fa mineur, op 57 de Beethoven, dite « Appassionata », s'élèvent dans la pièce.
J'aime cette musique. La seule capable d'arrêter le tumulte de mes ignobles pensées, la seule capable d'en endiguer le flot corrompu, la seule capable de ralentir cette marée sinistre et nauséabonde. Pour cela il suffit de se concentrer légèrement et d'essayer d'écouter chaque note qu'égrène le piano. Alors le silence de la rue devient le silence de l'esprit comparable a celui des morts, silence stoïque de celui qui n'attend plus rien ; et tout redevient pur.
Cependant, malgré cette paix qui m'envahit, je ne peux m'empêcher de savoir que comme toute chose sur cette terre la musique prendra fin.
Toutefois cette pensée n'en est pas une car elle ne s'est pas formulée dans mon esprit. C'est une inquiétude latente et sourde, insidieuse qui subsiste tapie à la lisière de ma conscience.
La musique a pris fin.
Je retourne me coucher espérant la crise d'angoisse passée.
Mais je sais qu'elle est là, qu'elle me guette, qu'elle m'attend. J'ai réussi à la fuir mais pour combien de temps?
La pensée de la mort inévitable, irréversible et inéluctable me traumatise. Je ne peux accepter l'idée de mourir, de disparaître sans même garder la conscience d'avoir exister, sans même savoir que je suis mort, l'égo dissout dans les méandres du néant.
Je vois ce non-être et il me terrifie.