Fragment #4 - La batte

Les volutes de fumée montent jusqu’à mes narines, ma cigarette se consume doucement tandis que j’observe la vitrine d’un magasin. Mes bras surchargés de sacs ne pourront supporter un autre cadeau, tant pis.
Je rentre dans « Le Moelleux », café bien connu, situé sur la place du forum. Je commande un thé à la menthe et laisse échapper un soupir de satisfaction lorsque mes sacs atteignent enfin le sol. La banquette m’accueille agréablement après cette course poursuite effrénée dans les magasins, parmi la foule de badauds venus comme moi effectuer leurs derniers achats.
Fred, le propriétaire, me dépose mon thé et se moque du jeune imbécile que je suis, qui achète ses cadeaux le dernier samedi avant Noël. Je lui rétorque que je ne ferais pas partie de ceux qui y vont le dimanche, d’ailleurs je suis contre cette réforme, celle de l’ouverture des magasins le dimanche.
Je suis seul dans cette partie de la salle, la chaleur m’engourdit les membres et aide mes pensées à dériver.
Ça fera un an demain soir, un an jour pour jour.

« La batte de baseball décrit un arc de cercle parfait avant de s’écraser sur mon épaule. Un craquement, puis la douleur qui éclate et irradie, pulsant dans l’ensemble de mon bras. J’ignorais qu’on puisse souffrir autant.
Mon agresseur m’insulte et me lance des injures: taffiole, pédale, tarlouze, t’es qu’une merde. Je tombe à genoux, j’essaye de garder un peu de lucidité, mais un coup de pied dans l’estomac me renverse et me coupe le souffle. Toujours ces insultes, cette rage que je ne comprends pas ; sans aucune dignité, j’hurle, j’appelle, ces mots qu’on espère ne jamais avoir à prononcer, sans même le savoir : Au secours ! Je sais que je vais y passer, je sais que je suis déjà mort, des larmes de douleur me coulent des yeux.
J’entends du bruit venant de la maison de mes parents, je crois entendre ma mère crier. Soudain, je saisis un mouvement sur ma droite. Un choc au niveau de la tempe. Noir. »

J’émerge lentement et bois une gorgée de thé, il est froid.
Fred me rapporte une autre tasse :
- Et bien, tu devais être loin ! Ça fait une demi-heure que tu fixes cette tasse sans bouger !
Je souris et réponds sur un ton enjoué :
- J’anticipe déjà Noël, ça va être formidable, je vois ma sœur et mon frère. On ne s’est pas vu depuis un an.
Deux clientes viennent d’entrer et Fred repart derrière son bar prendre les commandes.
Je sors le trombinoscope de la classe de terminale 7 et regarde ces visages maintenant si familiers.
L’un d’eux attire mon regard, Elyan Jusset, jeune homme de 18 ans brun aux yeux verts, beau et au regard chafouin. Un élève parmi tant d’autres. Peut être pas.
Je rentre chez moi et pose mes paquets.
Je déballe l’un des cadeaux, le plus spécial, le plus désiré.

Après quelques mouvements, je décide d’aller répondre à l’invitation de ma soeur et jette sur le canapé ma nouvelle batte.