Dimanche 21 décembre 2008
entre Paris et Villeneuve-Saint-Georges
19h13. Mon sac sur l'épaule je laisse se fermer la porte de l'immeuble et m'enfonce dans la nuit rouge parisienne. Un froid humide vient déranger mes bronches. Je monte au maximum la fermeture éclair de mon manteau. En tournant au bout de la rue de la folie Méricourt je les vois. Je m'en approche, accélère inconsciemment et les dépasse. Et là je me dis que le monde est mal fait.
J'ai vu ses pieds dépasser du carton ; pas une poupée mais un jeune garçon.
Je ne le connais pas. Je ne l'avais jamais vu ici auparavant ; mais je comprends en refoulant cette idée, qu'il s'apprête à passer la nuit dehors. Je continue de marcher en me disant que j'aimerais l'aider. Il doit avoir mon âge. Ou peut être moins. Même s'il n'était pas rasé depuis plusieurs jours ce visage était fin et jeune. Il y avait dans les yeux de ce garçon tendant la main aux passants un soupçon de pitié ; et beaucoup de haine. J'ai du mal à me mettre à sa place. Je n'ai jamais connu la rue. Je n'ai jamais connu le manque. Je n'ai jamais connu la faim. Il me fait de la peine, j'aimerais l'aider. Mais qu'a-t-il à faire de ma pitié ?
Cette année encore, comme lui, des centaines de sans abris passeront l'hiver dehors. Affrontant la neige, le froid et le vent. Qu'ont-ils fait pour mériter ça ?
Je laisse le froid du dehors pour entrer dans la bouche de métro. Tout en pensant à ces pauvres gens, je continue mon chemin. Voilà notre plus grand malheur. Bien sûr, nous aimons notre prochain, nous sommes pleins de compassion et tout le tintouin ; mais nous avons l'impression qu'y penser suffit à arranger les choses. Je ne l'ai plus sous les yeux, donc j'en conclus qu'il n'est plus dans le froid où je l'ai vu. Puis je l'oublie. J'ai souvent réagi ainsi. Je sais que beaucoup de mes compatriotes en font autant sinon moins.
Je monte dans le métro. Tous ces visages fermés me dégouttent. Ils ne semblent pas savoir ce qui se passe là haut à l'air libre. Ils ont de
très gros problèmes.
Que va-t-on faire à manger à Noël ? Je ne sais plus s'il m'avait dit qu'il voulait ce jeu en vert ou en bleu. Il me reste toute la vaisselle à faire. Je n'ai pas commence à réviser pour les partiels. Qu'est ce que je vais bien pouvoir regarder ce soir à la télé ?Ce garçon que j'ai vu, cette ombre dans la rue, n'a pas à préparer à manger pour dix personnes ; il n'a pas de cadeaux à offrir, pas de vaisselle à faire, pas de partiels à réviser, et pas de télé à regarder. Pourtant je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il n'a pas de problème. Ô monde cruel et égocentrique ! Et dire que je m'apprête à passer des centaines de nuits blanches pour aider ces parisiens fermés et arrogants. Ils me dégouttent.
Je suis comme eux. Je veux changer.
Je me couche dans les draps froids, échauffé de peine et de colère. En voyant sur mes paupières closes se fermer les yeux de ce garçon, je ne peux réprimer une certaine angoisse. Combien de temps va-t-il survivre ? Ce n'est pas un film, ni un jeux vidéo. On n'a qu'un essai dans la vie.