Altaïr
| Sujet: Fragment #30 – Franchir le pas ? 26.12.08 15:04 | |
| Jeudi 25 décembre 2008 à Dijon Ce matin, ma petite nièce Léa est venue me tirer du lit pour m’emmener au pied du sapin, pour déballer ses cadeaux avec moi, sous l’œil attentif de son papa. Elle a vite l’air d’adorer mon cadeau : des petits pots de pâte à modeler de toutes les couleurs. Florian m’a préparé un chocolat chaud, que j’entame en même temps qu’il boit son café, tandis que Léa s’installe à côté de nous sur la table de la cuisine pour jouer avec la matière molle et multicolore. J’ai toujours adoré l’odeur de la pâte à modeler. Robin m’envoie un texto pour me souhaiter un joyeux Noël. Je lui réponds que je l’aime fort. Il me répond à nouveau : « Bon courage pour ce midi ». Mon sang se met à enfler, à bouillir, à pulser. Lorsque Julian, Lola et Kokhavah arrivent pour aller avec nous au 148 Avenue Victor Hugo, chez papa et maman, mon cœur devient une véritable bombe à retardement, dont les battements s’enchaînent plus vite que les mouvements d’aile d’un colibri. Nous nous habillons, nous préparons, et mon inattention inhabituelle à l’égard de Kokhavah, que je ne vois pourtant pas souvent, passe inaperçue tant Florian est gaga avec elle. Nous arrivons devant la maison des parents. Julian frappe à la porte et me lance un regard inquiet. Il a compris que quelque chose n’allait pas. La table est dressée. Tout le monde prend place. De mes parents, j’ai reçu pour Noël mon propre ordinateur portable. Je suis un peu surpris. Florian avait reçu le sien à 21 ans, Julian à 20 ans, et moi j’y ai droit à tout juste 19 ans. C’est une machine dernier cri, aussi épais qu’une feuille de papier, ou presque. Je vais pouvoir aller sur Internet à l’appartement, car Florian ne veut jamais me laisser utiliser sa session sur son ordinateur. De toute façon, jusqu’à maintenant, je m’en fichais, parce que je n’aime pas Internet. Pour moi, c’est plus une perte de temps qu’autre chose, et j’ai du mal à concevoir que les gens puissent y passer autant d’heure. Ca me permettra au moins de tchatter avec Julian. Les Lenoir et les Martin nous ont rejoint. C’est un grand Noël avec toute la famille paternelle. Il ne manque plus que grand-père Robert, qui vit à Paris et que plus personne n’a revu depuis des années, parce que c’était un vieux aigri et méchant avec nous. Grand-mère Shanti, personne ne l’a jamais connue, parce qu’elle a quitté Robert il y a longtemps, et qu’elle est repartie vivre à Londres ensuite. Peut-être qu’elle est morte. Pourtant, c’est d’elle que nous tenons le nom de Mahogany. J’aurais aimé la connaître. « Qu’est-ce qu’il y a Lilian ? me demande maman en me servant une assiette de foie gras. Tu es blanc comme un linge mon chéri. » Je sens que je blêmis. Je sens cette pâleur sur mon visage, comme un masque de peur et de honte. Tous les regards sont soudainement braqués sur moi. Mes oncles, Maurice et Jacques, mes tantes, Claude et Jeanne, mes cousins et mes cousines, Bérénice, Maxime, Benjamin, Léo. Mes parents. Mes frères. Ma belle-sœur. Seules mes nièces, Léa et Kokhavah, regardent ailleurs. « Laisse donc, Dona, tu vois bien qu’il pense à sa bonne amie, lance Maurice de sa voix lourde et pataude aux relents campagnards. - Oh, il a une bonne amie ? renchérit maman, complice de la bêtise de Maurice. Comment elle s’appelle Lilou chéri ? Dis nous tout ! » Mes cousins s’esclaffent en entendant prononcer les mots « Lilou chéri ». Je meurs littéralement de honte à grand feu. Pourquoi est-ce que cette famille est froide et anti-psychologique ? Pourquoi est-ce que tout le monde fait tout pour cacher ses sentiments, pour ne pas être affectueux ? Pourquoi est-ce qu’ils me mettent dans cette situation de danger, comme un petit lézard traqué par une bande de gamins agressifs ? Je voudrais vous dire, à tous, que je suis le petit pédé de la famille, vous le crier avec fierté pour vous surprendre, et me moquer de vos réactions primaires. Je voudrais quitter la maison fièrement et ne plus jamais vous revoir. Je voudrais vous l’annoncer sereinement, et voir vos yeux s’embuer de larmes et m’entendre dire que vous m’aimez, que ça ne changera jamais rien. Pourquoi est-ce que je suis homosexuel ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas comme vous ? Pourquoi est-ce si grave de ne pas être comme vous ? Pourquoi moi ? Moi je voudrais aussi avoir une petite amie et un petit bébé, moi aussi je voudrais qu’on s’extasie devant les gazouillements de mon enfant ou les charmes de la fille que j’ai ramené. Mais qui me regarderait si je venais au bras de Robin ? Qui ne ressentirait pas un profond dégoût à l’idée de nos pratiques sodomites, derrière les visages crispés et les sourires forcés ? Je hais tous ces gens qui nous trouvent « mignons » parce que nous sommes gays. Je hais les gens qui veulent avoir des amis gays parce que c’est à la mode, et les gens qui se disent bi pour paraître branchés. Je ne sais pas si ces gens savent ce que ça fait, à l’intérieur. Cette douleur, cette déchirure entre soi et le monde. Je hais le 25 décembre, qui me rappelle chaque année que je ne suis pas comme vous. Et que vous n’êtes pas encore prêt à accepter cela. Je sens la vérité dans ma gorge, comme une grosse bulle palpitante, prête à éclater. Elle remonte au bord de mes lèvres, et le sang boue à nouveau dans tout mon corps. Aujourd’hui, je dois vous annoncer que vous ne me connaissez pas vraiment. Que je ne suis pas celui que vous croyez que je suis, et je souffre. J’ai envie de vomir. Est-ce que c’est le goût du foie gras, graisseux et sucré à la fois, qui me fond sur la langue et envahit ma bouche d’acidité ? Les mots restent bloqués dans ma poitrine. Désolé Robin, une fois encore, je n’ai pas pu leur dire. | |
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Procyon
| Sujet: Re: Fragment #30 – Franchir le pas ? 28.12.08 17:05 | |
| Une ou deux fautes, mais quelle émotion ! Et une question, ils y ont été comment chez leurs parents ? | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #30 – Franchir le pas ? 28.12.08 17:19 | |
| Ouiii les enfants n'étaient pas attachés dans la voiture, gnagnagna :P | |
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| Sujet: Re: Fragment #30 – Franchir le pas ? | |
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