Fragment #7 - Il ne manquait plus que lui.

Je suis tellement fatiguée, tellement épuisée… Le temps est moche, il fait froid. J’ai même du mal à bouger mes doigts tellement ils sont glacés. Je devrais penser à investir dans une paire de gants. Hier, j’ai reçu de Gaby une robe pour femme enceinte. Je crois qu’elle n’a pas compris que je ne m’y suis toujours pas fait. Je pense à l’accouchement sous X. Je ne serais jamais une bonne mère, c’est évident… Et puis… Dans quel état doit-il être ce fœtus vu tout ce que j’ai pris alors qu’il s’était déjà invité à l’intérieur de mon utérus ? Aujourd’hui, ma sœur me traine dans les magasins pour que j’ai une « garde robe adaptée à mon état ». Je n’ai aucune envie de porter ces vêtements aux couleurs flash qu’elle me montre à tous les rayons. Je regarde les autres futures mamans. Elles rayonnent, transpirent le bonheur. Elles caressent leur ventre sans arrêt. Elles sont souvent accompagnées de vieilles femmes qui doivent être leurs mères, ou d’amies… Moi je suis là, et Gabrielle me traine dans les rayons. Elle s’arrête devant une tunique rose et verte pomme, je suis horrifiée. Elle se tourne vers moi : « C’est pas joli ça ? » Devant mon air terrorisé, elle fait la moue. « Lena, si tu trouves pas je t’habillerai avec un sac plastique ! » Je ravale mon énervement et me met à mon tour à fouiller dans les rayons. Je sors une robe, simple, noire, un col bateau et juste un ruban qui sert la poitrine.
« Moui bon si tu veux… Mais avoir l’air d’aller à un enterrement lorsqu’on est enceinte…
- C’est le bébé d’Antoine. »
Gênée, Gabrielle se tait. J’essaye la robe, elle me va bien. Je pose la main sur mon ventre rond. Je me demande comment j’ai fait pour ne pas m’en rendre compte… Mais c’était impossible… Gabrielle me fait avaler toute sorte de complément alimentaire et autres bêtises, pour que je sois plus forte, mais ça ne fera pas de moi quelqu’un de bien. Je lui adresse un sourire. Un sourire à ce ventre, un sourire à Antoine, un sourire à cet enfant. Car, oui, c’est finalement pas une chose, mais un enfant que je porte. Un enfant détestable, qui n’est pas désiré, mais un enfant tout de même. Je sors de la cabine d’essayage. Gabrielle est là, et elle aussi sourit.
« Tu es magnifique Lena, vraiment belle.
- Merci… Je crois que je vais réfléchir plus longtemps avant de l’inscrire à l’adoption.
- De toute façon, tu as encore quatre mois.
- Oui… »
Je me change et sors de la boutique avec quelques achats. Gabrielle me tient la main, comme lorsqu’on était enfant. Mon GSM vibre. Je décroche. La voix de Tim est paniquée et je ne comprends pas grand-chose, mis à part qu’il y a urgence, et qu’il faut que l’on rentre à la maison.
Lorsque je pénètre dans la maison, je reconnais immédiatement l’odeur. Oui, elle m’a suivie pendant tout ce temps et elle vient me rattraper… Ce mélange d’alcool, de vomi et de drogue. Gabrielle court dans le salon, je l’entends hurler. Je me précipite. Il est là, il me regarde. Ses yeux sont petits, et de grosses cernes marquent son beau visage. Il a vieillit, beaucoup vieillit. Ces cinq ans lui ont donné vingt ans de plus. Je déglutis difficilement. Il me regarde allongé avec nonchalance sur le canapé. Tim est assis dans un coin de la pièce, il pleure. Je remarque que des objets ont été brisés. Il y a eu violence. Gabrielle se presse contre Tim, apeurée elle aussi. Il est la raison de cette panique. Mon ancien modèle, mon frère, Nathan.